
Ce travail de documentation à Marseille repose sur les dispositifs d’enquête TREND (Tendances récentes et nouvelles drogues) et SINTES (Système d’identification nationale des toxiques et substances) de l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies). Ces dispositifs d’enquête consistent, depuis 1999, en un recueil continu d’informations directement sur le terrain, au contact des acteur.rices et des usager.es, pour identifier et analyser les phénomènes émergents, les évolutions dans le champ des usages et des marchés des drogues illicites et des médicaments psychotropes détournés, et la composition des produits consommés.
Le dispositif TREND s’appuie sur un réseau de coordinations implantées dans neuf agglomérations métropolitaines (Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Metz, Paris, Rennes, Toulouse et La Réunion), financées par l’OFDT et portées par des associations intervenant dans le champ des addictions et de la réduction des risques (voir carte ci-dessous). En PACA, ces dispositifs d’enquête sont soutenus par l’ARS-PACA et portés par l’association Addiction-Méditerranée.
Chaque année sur chaque site, un rapport faisant état de la situation locale est produit, qui relève les phénomènes émergents observés (nouvelles populations d’usager.es, nouveaux produits, nouveaux espaces de consommation ou de vente), les tendances, et l’évolution des phénomènes ou situations connues. Cet état des lieux partagé – parce qu’issu d’observations et d’enquêtes de terrain au contact des acteur.rices (usager.es, vendeu.ses, intervenant.es) – apporte des connaissances actualisées qui permettent aux professionnels d’acquérir une meilleure connaissance des usages, des populations d’usager.es, des produits et des modes de consommations, et qui peut être un outil d’accompagnement à la décision reposant sur des informations fiables et un diagnostic commun. En outre, ce dispositif permet d’appréhender rapidement la portée d’un signal sanitaire, d’évaluer la réalité d’un phénomène, et de contribuer à l’animation des réseaux professionnels locaux en matière d’addictions.
Les rapports TREND-SINTES sont téléchargeables sur : https://www.ofdt.fr/regions-et-territoires/reseau-des-sites-trend/rapports-des-sites-locaux-du-dispositif-trend/
Ainsi que des synthèses sur : https://www.ofdt.fr/regions-et-territoires/reseau-des-sites-trend/syntheses-annuelles-des-resultats-trend-par-sites/
Le rapport TREND Marseille-PACA 2020 sera publié fin octobre.
DONNEES DE CADRAGE EN PACA [ Addictions en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur ; consommations de substances psychoactives et offre médico-sociale, OFDT, 2019, https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxmdz7.pdf]
Les populations accueillies en CSAPA et CAARUD
Dans les CSAPA, le public d’usager.es accueilli en PACA se différencie de l’ensemble des personnes prises en charge dans les CSAPA en France par une proportion plus élevée de moins de 25 ans (19 % contre 16 %). La proportion de sans domicile fixe (SDF) (5,2 %) est aussi plus importante en PACA que dans toutes les régions de France métropolitaine. C’est également dans le public des CSAPA de cette région que s’observent les plus fortes proportions de personnes percevant l’allocation adulte handicapé (10 % contre 6,6 % en moyenne) et autres prestations sociales (5,1 % contre 2,6 %).
En CAARUD, les usager.es accueilli.es de la région PACA sont en moyenne plus âgé.es que celles-eux du reste de la France (2e région métropolitaine après l’Île-de-France). Sept sur dix ont au moins 35 ans. Leur niveau global de précarité est supérieur à la moyenne nationale (2e région métropolitaine après l’Île-de-France). Deux tiers vivent principalement de prestations sociales, plus de deux sur dix sont sans ressources, ce qui les différencie peu de la moyenne nationale. Surtout, près d’un quart d’entre elles-eux vivent dans un logement précaire (squat, caravane, camion, chambre d’hôtel, contre 15 % pour la France) et 22 % sont sans abri (contre 16 % moyenne nationale).
La région se caractérise aussi par la forte présence de profils « d’usager.es pauvres », avec des usages de médicaments plus présents dans les consommations.
Les consommations par population et par produits [ Pour rappel, les définitions : – Expérimentation : au moins un usage au cours de la vie (cet indicateur sert principalement à mesurer la diffusion d’un produit dans la population) ; – Usage dans l’année ou usage actuel : consommation au moins une fois au cours de l’année ; – Usage régulier : au moins 10 fois au cours du mois ; – usage quotidien : tous les jours.]
Les adolescents (17 ans)
Pour l’alcool, les jeunes de 17 ans de la région PACA se distinguent par des consommations d’alcool moins importantes que la moyenne métropolitaine (7.3% d’usage régulier versus 8.4% en France) et des prévalences d’épisodes d’ivresse et d’alcoolisation ponctuelle importante (API) en dessous de la moyenne nationale.
Pour le cannabis, les adolescents de la région PACA déclarent plus souvent qu’ailleurs avoir expérimenté le cannabis au cours de leur vie (41,2 % contre 39,1 %), sans différences significatives par sexe. Les autres indicateurs d’usage de cannabis de la région se situent dans la moyenne métropolitaine (22.4% d’usages dans le mois, 7.9% d’usage régulier, 3.9% d’usage quotidien)
Les niveaux d’expérimentation des autres substances illicites sont semblables à ceux de leurs homologues du reste de la France pour la plupart des produits : environ 3 % d’entre eux déclarent avoir déjà consommé de la cocaïne, de même en ce qui concerne la MDMA/ecstasy et les champignons hallucinogènes. Seules se distinguent par des niveaux inférieurs à la moyenne française, l’expérimentation du poppers (6,7 % contre 8,8 %) et celle de l’héroïne (0,4 % contre 0,7 %). Comme dans le reste de la France, à 17 ans, les garçons ont un peu plus tendance à expérimenter ces substances que les filles.
Les adultes (18 à 75 ans)
Pour l’alcool, les adultes de la région se démarquent très peu du reste de la France, si ce n’est par des niveaux d’usage quotidien un peu plus importants (12% versus 10% en France)
Pour le cannabis en revanche, la région PACA se distingue par des niveaux de consommations supérieurs à la moyenne nationale, et ce quel que soit l’indicateur. À l’instar des adolescent.es, l’ensemble de la population de la région PACA apparaît sur-expérimentatrice de cannabis : 54 % des 18-64 ans de la région déclarent en avoir déjà fumé au moins une fois au cours de leur vie contre 45 % sur l’ensemble du territoire métropolitain. L’usage au cours de l’année concerne 14 % des personnes interrogées dans la région, niveau sensiblement plus élevé que sur l’ensemble du territoire (11 %). La région PACA est la seule, avec la Nouvelle Aquitaine, à se singulariser par un usage de cannabis au cours de l’année significativement supérieur à la moyenne métropolitaine. Les usages réguliers et quotidiens sont également un peu supérieurs au reste du territoire (3% versus 2%).
Pour tous les autres produits illicites, les niveaux d’usage dans l’année sont plus importants en PACA que dans les autres régions, à l’exception des usages d’héroïne qui sont un peu moindre par rapport aux moyennes françaises : pour le poppers (12 % en PACA contre 9 % en France), la cocaïne (8 % contre 6 %), la MDMA/ecstasy (7 % contre 5 %), les champignons hallucinogènes (8 % contre 5 %), le LSD (5 % contre 3 %) et les amphétamines (3 % contre 2 %). Enfin, l’usage de Ritaline® dans l’année persiste à un niveau élevé, contrairement aux régions limitrophes (20 % des usagers des CAARUD de PACA contre 4 % pour la France). C’est aussi le cas, dans une moindre mesure, pour l’usage de sulfate de morphine (Skénan®), dont la répartition suit un axe nord-est (la plus faible) / sud-ouest (la plus forte) qui correspond, selon les données du dispositif TREND-SINTES, au gradient du rapport qualité/prix de l’héroïne sur le territoire national.
LES PHENOMENES PARTICULIERS OBSERVES EN 2020
En 2020, le développement de l’épidémie de Covid19 et l’instauration des mesures de confinement par les pouvoirs publics sont venus modifier les pratiques de consommation d’une part des usager.es de drogues, en particulier celles et ceux qui consomment en contextes festifs, et perturber les activités de vente des produits stupéfiants.
Pour les usager.es les plus marginalisé.es ou en situation de précarité, les situations de consommations ont été souvent perturbées pendant le premier confinement (mars-mai 2020) : certain.es, souvent contraint.es par le manque de ressources et les difficultés d’accès aux points de vente de rue, ont fait une pause dans leurs consommations ; d’autres ont augmenté leurs consommations, notamment d’alcool et de cannabis, souvent par désarroi ou ennui.
A partir de l’été, il semble que les consommations de ces usager.es en situation de précarité ou de pauvreté soient redevenues semblables à celles observées habituellement (polyconsommations d’alcool, de cannabis, et parfois de cocaïne et de médicaments détournés notamment de Skénan®, Subutex®, Lyrica® ou Tramadol®). On note aussi une augmentation des consommations de cocaïne sous forme basée (aussi appelé « crack ») par des usager.es d’âges très divers qui consommaient en sniff ou en injection, et qui semblent alterner les modes de consommation. Une recrudescence des consommations de kétamine par des personnes plutôt jeunes (entre 20 et 35 ans) a également été observée.
Pour les usager.es en contextes festifs, les consommations ont été davantage contrastées. Du fait des mesures restrictives liées à l’épidémie de Covid19, la scène festive publique a été désorganisée, voire inexistante à certaines périodes. Pendant l’été, lorsque l’offre festive publique était possible, les observatrice.eurs n’ont pas noté de changements majeurs dans les produits, les modes de consommations ou les quantités consommées. Mais les périodes de confinement ou de couvre-feu ont été l’occasion de nombreuses fêtes privées, en petits groupes d’amis à domicile, qui n’étaient plus limitées aux week-ends. Les observatrice.eurs et usager.es interrogé.es expliquent que le contexte privé de ces fêtes leur a offert de plus nombreuses opportunités de consommation : il.elles témoignent avoir consommé davantage (du fait d’une disponibilité plus grande, et de l’absence de contraintes ou de contrôles), et avoir consommé en espaçant moins les prises (car ces soirées ne durent pas aussi longtemps que celles organisées dans l’espace public). La plupart de nos interlocutrice.eurs expliquent pour autant ne pas avoir retrouvé les qualités des soirées publiques et des festivals, à savoir l’occasion de rencontres improbables ainsi que l’expérience du son et d’esthétiques musicales des programmations professionnelles. Ainsi, les usager.es précisent que l’augmentation de leurs consommations en périodes de confinement est principalement motivée par le besoin de combler le manque de sorties, de nouvelles rencontres, de son et de danse.
Presque à l’inverse, la plupart de celles et ceux qui étaient confiné.es à la campagne ou qui ne pouvaient/voulaient pas participer à des fêtes privées disent avoir réduit ou cessé leurs consommations de produits.
Qu’est-ce qui te manque le plus ?
J : Faire un apéro tranquille, au bar en sortant du boulot et avant de rentrer ; pas forcément des soirées, juste avoir une vie plus sociale, voir des gens nouveaux que tu rencontres par hasard et avec qui juste tu bois un verre… Les grosses soirées à la maison où on consomme à fond parce qu’on n’a rien d’autre à faire, j’en ai assez !
A : Moi c’est le contraire, je ne suis pas trop bars. Mais les free-party ou les festivals, là qu’il n’y en ait pas, ça me manque vraiment !
R : Danser ! Je voudrais aller danser, même sans prendre de produits, avec une prod de ouf !
S : Putain mais moi le vaccin j’attends que ça ! Les deux bras je les donne si ça peut nous permettre de sortir !
JC : J’étais content de reprendre le taf, aussi bizarre que ça puisse paraître, de pouvoir travailler ça me manquait, parce que j’aime bien mon travail tout simplement, et je me faisais un peu chier chez moi. Donc j’ai repris à temps plein. Et sinon, ben j’ai repris les teufs…
F : Moi ce qui me manque le plus je crois, c’est d’être dans le son. Sentir la chaleur de la foule autour de toi, la pression des basses, la puissance du son que tu ne peux pas retrouver ailleurs.
H : Moi j’serais chaud pour ressortir ! Je pense même que je vais y aller sans me droguer… Enfin après j’sais pas, mais bon je pourrais essayer quoi, ça me paraît pas impossible.
Un marché très réactif
Face aux mesures de restriction et aux difficultés d’approvisionnement, les organisations de vente de drogues illicites ont très rapidement mis en place des modalités commerciales adaptées à la situation : dès la fin mars 2020, de nombreux réseaux de trafic commercialisaient leurs produits via des applications numériques, en ouvrant leurs propres comptes sur des applications telles que Snapchat, Instagram ou Signal. Les zones de livraison de produits ont également été étendues vers des villes où ce service était habituellement confidentiel (Avignon, Toulon, Martigues…), des zones péri-urbaines et rurales, mais aussi sur la totalité du département des Bouches-du-Rhône où la livraison des produits était garantie en moins d’une heure, quelle que soit l’adresse. De nouvelles pratiques de commandes groupées et de drive, via l’envoi de la référence GPS d’un lieu de livraison groupée, ont également pu être observées.
De nombreux.ses usager.es expliquent avoir débuté le recours à ce type de services (livraison ou drive) lors du premier confinement et avoir maintenu ce mode d’approvisionnement depuis : « On va moins au quartier du coup, c’est le quartier qui vient à nous. C’est pratique et les prix n’ont pas changé, ils sont très commerciaux, ils offrent des cadeaux, et ils sont hyper rapides. ». Une diversification des packagings (tubes de verre, pochons personnalisés, petites boites…) a également été observée.
Si le marché a fonctionné de mars à juillet selon une logique de gestion des stocks et de rationnement (des produits de qualité moindre et/ou des prix augmentés et/ou des quantités moindres par rapport au poids annoncé), il semble être redevenu stable entre juillet et octobre sur l’ensemble de la région.
Emergence d’un néo-cannabinoïde : le MDMB-4en-PINACA
Depuis l’été 2019, la circulation de cannabis faiblement dosés en Δ-9-tétrahydrocannabinol (THC) et en cannabidiol (CBD) mais adultérés avec des cannabinoïdes de synthèse, a été observée dans plusieurs pays européens. Les cannabinoïdes de synthèse (CS) sont pulvérisés sur le support végétal, ils agissent sur les mêmes récepteurs que le THC ou le CBD, mais provoquent des effets différents, plus puissants, pour des doses inférieures et difficiles à maîtriser. Ces produits sont vendus de façon trompeuse comme du cannabis.
En PACA, entre début septembre 2020 et fin janvier 2021, 13 échantillons ont été analysés par le dispositif SINTES, dont 7 ont révélé la présence d’un cannabinoïde de synthèse : le MDMB-4en-PINACA. L’analyse des 6 autres échantillons n’a pas pu révéler la présence de ce cannabinoïde de synthèse, mais cela peut être lié aux difficultés à détecter cette substance contenue en quantités très faibles.
Le MDMB-4en-PINACA est un dérivé du 5F-ADB qui est placé sur la liste II de la convention sur les substances psychotropes en mars 2018 sur avis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce dérivé est en cours d’évaluation aux niveaux mondial (par l’OMS) et européen par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA).



Photos d’herbes de cannabis ayant révélé la présence de CS en PACA
Les consommatrice.eurs habituel.les d’herbe de cannabis, de même que les analystes du Laboratoire de police scientifique ou les collecteurs SINTES, précisent qu’il est impossible de différencier clairement, que ce soit au visuel, à l’odeur ou au toucher, une herbe adultérée au CS d’une herbe non adultérée. En revanche, les effets rapportés par les usager.es sont toujours décrits en termes de « trop puissants (…) mode bad trip », provoquant parfois des angoisses, des nausées, des palpitations.
Une note spécifique SINTES de l’OFDT sur la circulation d’herbe de cannabis adultérée avec des cannabinoïdes de synthèse est téléchargeable sur : https://www.ofdt.fr/BDD/sintes/ir_19102020_Cannabis.pdf