Thérèse est un témoignage d’une rencontre faite par Brigitte Brami à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Elle a souhaité retravailler ce texte pour le proposer dans SaNg d’EnCRe, initialement publié avec une autre nouvelle, Sana ou le corps incarcéré deux fois, dans son livre Corps Imaginaires.
Thérèse est décédée.
Suicide de Thérèse en prison pendant ma propre détention : un assassinat moral ?
Thérèse est décédée. Thérèse s’est suicidée dans sa petite cellule de 9 mètres carrés.
Thérèse était magnifiquement belle. Je le lui disais.
Apparemment, mes pauvres mots ont été des coquilles vides de sens.
Thérèse avait tué son mari à coups de couteau, puis elle s’était elle-même immédiatement dénoncée, elle avait appelé la police. Son mari avait maltraité physiquement leur fils âgé de 1 an au moment des faits, et cela dès sa naissance.
Je ne l’ai vue que trois fois. Elle était souriante, toujours. Et toujours impeccable dans des tailleurs-pantalons ou des fringues simples qui la dotaient d’un grand charme.
Sa beauté noire m’avait impressionnée.
On s’était écrit ; très peu car chacune de nous deux perdait le numéro d’écrou de l’autre.
J’étais persuadée qu’elle s’en sortirait. Oui, qu’elle sortirait de Fleury-Mérogis : parce que c’était elle la victime ; parce que les jurés ne pourraient enfermer longtemps une jeune femme si jolie, si classe, si subtile.
Je pensais qu’elle serait probablement relâchée, relaxée puisque son geste était une espèce de légitime défense morale ; que le nombre impressionnant de coups de couteau – 318 en l’occurrence – ne révélait ni sadisme ni acharnement mais exprimait une liberté enfin reprise, prononçable et désormais acquise.
PAUSE
Parce qu’aussi, il était irréfutable que le chef d’accusation comprenant entre autres la préméditation était incompatible avec le nombre de coups de couteau portés qui infirmait à mes yeux tout calcul.
Et enfin, parce que depuis l’origine de l’humanité, les hommes et les femmes, ça se tue par les guerres, les assassinats, car les hommes et les femmes, ça meurt et que la mort est tellement chose insupportable qu’on la projette sur son contemporain, sur sa contemporaine :
On a du sang sur tout le corps et comme on ne veut pas le voir, on fait couler celui des autres.
PAUSE
Comme tu es belle !
Il va falloir que j’apprenne à dire autre chose, car visiblement, la réalité, seule dominatrice, me prouve que cette exécration ne saurait prévenir du suicide.
Quel gâchis !
Il parait que les autres prévenues lui ont fait la misère, qu’elles lui ont fait une vie d’enfer, qu’elles se sont toutes liguées contre elle ; elles lui auraient promis la perpette, les mauvaises !
Je ne me trouvais pas dans le même bâtiment, je ne partageais pas sa promenade, je ne savais rien de ces tortures psychologiques, sinon, évidemment j’aurais réagi et agi. Evidemment…
Elle était trop belle pour ne pas être jalousée ; trop calme pour répondre aux attaques ; trop droite pour balancer.
Elle voulait reprendre ses études universitaires par correspondance : la possibilité d’une bourse de 200 euros mensuels, financée par le Conseil Régional, était envisageable. Je l’y avais encouragée.
PAUSE
Dans une salle d’attente médicale du Grand quartier, on avait parlé des avocats, de leurs compétences et surtout de leurs incompétences respectives – j’en connaissais un rayon là-dessus suite aux nombreux avatars dus à ma propre expérience !
Sa timidité la rendait faussement hautaine. Sa grâce incitait au vouvoiement, ce qui entre écrouées est rarissime. Je la vouvoyais donc par une délicatesse un peu étrange que soudain je me découvrais à mesure que la conversation avançait, une conversation à l’instar d’une marche, dans le déséquilibre permanent avant que le pas suivant ne s’articule.
Je suis passée à côté de sa fragilité…
Thérèse était trop sensible pour se pardonner son crime ; pas assez dupe pour se raconter des histoires ; trop lucide pour dénier son acte.
PAUSE
Thérèse avait lu, avant même que je ne la rencontre, mon livre, La Prison ruinée, et l’avait aimé, peut-être est-ce pour cette raison que d’emblée, elle m’avait fait confiance.
Quant à moi, faut-il encore le souligner : l’élégance naturelle de sa beauté m’intimidait. Le fait qu’elle connaisse mon orientation sexuelle me gênait car je voulais que le désir reste insoupçonnable et que c’était vraiment mal parti en raison de mes goûts en général et de mon attirance en particulier à son endroit ; attirance évidemment qu’elle devinait, sinon percevait.
Arrivée à la Maison d’arrêt pour femmes, elle se savait, elle se croyait ici pour très longtemps, m’avait-elle précisé.
Elle avait commencé une formation de jardinerie et c’est alors qu’elle courait dans le couloir que je l’avais entrevue pour la dernière fois.
Je l’avais en vérité à peine reconnue, tant elle était plus que jamais resplendissante. Et toujours, oui toujours souriante dans son tailleur-pantalon beige clair.
Ce que vous êtes belle ! Lui-ai-je alors lancé sans savoir que c’était la dernière fois que l’on se parlerait !
« Brigitte, je vous écris très vite »
Furent les derniers mots qui m’étaient destinés et qu’elle prononça en vitesse.
Que Thérèse était belle et moi, que suis-je bête !
Thérèse s’est pendue dans la nuit du 9 au 10 mai 2014 : dans la nuit d’avant-hier à hier.
Et demain matin, je sors de prison !
Ni La Prison ruinée ni mes paroles n’ont été en mesure de la secourir.
Elle avait 35 ans et elle est morte comme elle est née : innocente.
Brigitte Brami
