Tabac en CSAPA – Marseille

Des années 90 à nos jours le regard sur la consommation de tabac a beaucoup changé. Plus concrètement le tabac a été sorti de beaucoup d’espaces publics et reconnu comme un problème majeur de Santé Publique. Qu’en est-il des accompagnements à la maîtrise et au sevrage, plus particulièrement de personnes pour qui l’addiction au tabac n’est pas la seule…?
Thibaud Calpe, psychologue et tabacologue, nous fait partager ci-après ce en quoi consistent ses accompagnements à la baisse et l’arrêt de la consommation de tabac, auprès des personnes suivies au CSAPA Danielle Casanova du Groupe SOS Solidarités à Marseille.

Ces dernières décennies il y a effectivement eu des grands changements sur la question du tabac. La loi Evin qui a exclu le tabac des lieux fermés, l’augmentation régulière des prix du tabac, l’organisation d’événements type le Mois sans tabac. En termes d’impact sur le public en situation de précarité c’est par contre très limité. Par exemple l’augmentation du prix ne va pas faire arrêter de fumer. Ça va plutôt leur faire acheter du tabac de contrebande, ramasser des mégots. Aussi ils se privent sur leurs courses alimentaires. La dépendance est souvent plus «  lourde » et le soin est plus tardif dans l’arrêt du tabac. C’est pour ça que sur le CSAPA Danielle Casanova, plutôt que de se limiter à la personne désireuse qui vient et qui veut arrêter, on s’adresse à un spectre plus large de fumeurs. Ce qui consiste à cibler des personnes qui n’ont pas émis encore l’idée par elles-mêmes pour développer un échange à ce niveau-là. Depuis 6 ans on a développé l’accès à l’usage de la cigarette électronique, non pas avec une visée thérapeutique dans le sevrage mais simplement comme un outil de réduction des risques et des dommages qui viendrait remplacer tout ou partie des cigarettes qui sont fumées.

Comment procédez-vous au CSAPA pour insuffler cette dynamique de changement ?

Déjà c’est rare de rencontrer un fumeur qui te dit « j’adore fumer, je n’ai pas envie d’arrêter ». Il y a souvent une ambivalence. Il peut aimer fumer mais y voit des contraintes car le tabac est une des drogues les moins intéressantes. Ça soulage le manque, mais ça donne peu de plaisir et c’est coûteux. Surtout l’impact est significatif sur la santé, c’est la première cause de mortalité…

Souvent a minima le fumeur est ambivalent. Sans forcer on leur propose d’essayer un modèle de cigarette électronique, la vapoteuse, Nous mettons à disposition l’outil et ça c’est concret, ça permet de découvrir et de voir si c’est quelque chose qui peut plaire et donner envie de continuer. De façon très générale la majorité du public fumeur est partante pour expérimenter et c’est à l’issue de cette expérimentation qui dure 1 à 3 semaines qu’on rentre dans l’accompagnement. La personne dit souvent qu’elle fume effectivement moins et y trouve du plaisir. C’est là qu’il y a un pas vers le changement. On ne cherche pas à convaincre en consultation, c’est l’expérience grâce à l’utilisation du matériel qui fait la différence. Ce qui est intéressant c’est de d’abord être dans l’action qui mène ensuite à une attitude et une position qui se modifient.

Ce sont des accompagnements individuels ou collectifs ?

Ce sont principalement des accompagnements individuels, car chaque fumeur est particulier donc c’est compliqué d’avoir une recette générale à proposer à un groupe de fumeurs. Je privilégie l’adaptation à chaque personne. Je propose par contre de l’accompagnement de groupes sur l’acquisition de compétences techniques. Quand vous étiez venus lors de mes ateliers « Vapoteuse » j’avais rassemblé des personnes déjà suivies dans un processus d’usage. L’idée c’était vraiment qu’elles acquièrent des connaissances et compétences pour fabriquer elles-mêmes leurs liquides, changer les filtres, s’approprier l’objet et échanger.

Y a-t-il une ou des méthodologies récurrentes ?

En termes de méthode d’intervention, je m’appuie sur l’entretien motivationnel qui sert au départ à faire émerger chez la personne les raisons qu’elle aurait au changement (réduction du tabac, arrêt, cigarette électronique, substitution nicotinique). Ce mode d’entretien agit sur le mode de perception de leur propre tabagisme. Puis sur l’accompagnement dans le temps j’ai une approche cognitive et/ou comportementale. Le but étant d’agir sur les stimuli qui déclenchent l’envie de fumer. En fait une personne en fin d’accompagnement ce n’est pas tant une personne qui a diminué ou arrêté mais une personne qui n’a plus envie de fumer de façon compulsive voire plus envie de fumer du tout. C’est toute la différence. L’accompagnement va jusqu’à cette dimension, l’arrêt ou la diminution du tabac en soi ce n’est pas le plus difficile. Pour le tabac en lui-même on a la substitution nicotinique.
L’accompagnement est en grande partie sur la notion comportementale.

Quelle est la demande d’accompagnement des personnes suivies côté tabac ?

Beaucoup de ces personnes sont pourtant concernées par des addictions multiples dont le tabac, qui est rarement le motif d’entrée sur le centre. Les a priori poussent à penser que leur parler de l’addiction au tabac « c’est trop » quand ils arrivent ici concernant une ou d’autres addictions. En fait il s’avère que quand on leur propose d’en parler dès le début et d’agir, les personnes se saisissent assez facilement de cette proposition. Sur la baisse et l’arrêt du tabac il y a des désirs latents. Lorsqu’on propose ces accompagnements en tabacologie on a du monde qui est partant.

Mais pour beaucoup de personnes fumeuses s’attaquer à un changement reste une démarche difficile…

Parce qu’on imagine que l’arrêt du tabac est un chemin de croix, une galère monstrueuse, que si on rencontre un tabacologue il va demander d’arrêter de fumer, bref il y a des craintes comme ça qui bloquent. En large majorité les personnes veulent arrêter mais craignent de s’y attaquer.
Sur 100 fumeurs à qui on demande : « vous voudriez arrêter de fumer ? », une large majorité répond « oui ! ».
Si on demande ensuite à ces 100 fumeurs « quand est-ce que vous aimeriez arrêter ? », la même majorité dira « houlà ! Pas tout de suite, plus tard… ».

Mon boulot c’est justement de donner une temporalité à ça, de leur montrer que c’est possible de le faire avec plaisir. Le plaisir de baisser ou arrêter est bien réel et palpable.
De mon côté quand je fais le bilan à la fin de l’année, et toutes les personnes suivies ont réduit leur tabagisme ou arrêté de fumer. J’insiste sur le fait que diminuer n’est pas si difficile.

Quelles satisfactions sont exprimées lors de la diminution ou de l’arrêt de la consommation de tabac ?

La grande satisfaction c’est la sensation de contrôle sur soi face à une addiction qui est réputée pour être très difficile à contrôler… Et cette forme d’autocontrôle est très intéressante car elle peut être réutilisée sur d’autres consommations comme l’alcool, le cannabis. Les personnes sont souvent concernées par plusieurs addictions et sont peu confiantes en elles-mêmes, peu sûres d’elles.
Quand elles arrivent à contrôler ce tabagisme c’est chouette pour elles et ça renforce vraiment une estime de soi qui pousse l’envie et la confiance pour agir sur d’autres changements qu’elles pensaient impossibles. La principale satisfaction elle est là en fait, au-delà des sous économisés, du souffle retrouvé, des bénéfices perceptibles à l’arrêt, c’est s’être prouvé qu’on en est capable et qu’on maîtrise.

Et oui, se sentir capable de changer là où on ne pensait pas ça possible au départ dans le même (temps ?) que stopper la dépendance à un produit c’est très satisfaisant…
Et en termes de réduction des risques et dommages… si on pense à l’avenir quels outils et évolutions seraient utiles ?

Ça fait 6 ans que j’accompagne en tabacologie sur les consultations au CSAPA. Il y a aujourd’hui une vraie difficulté pour les consommateurs de cannabis. C’est compliqué de consommer du cannabis sans l’associer au tabac. La nouveauté c’est l’expérimentation de vaporisateurs d’herbe sèche. Le boîtier permet de consommer de l’herbe sans tabac ni combustion, ce qui supprime quasiment les risques somatiques.
Nous avons un parc de vaporisateurs que nous prêtons pour que les personnes puissent expérimenter sur des durées de 6 mois/ 1an (nous ne pouvons pas les donner car ce serait trop cher pour l’instant). Certaines, la plupart, sont très satisfaites, pour d’autres le changement est trop important pour que ça compense/remplace le rituel du fumeur. Il y a des avantages à ce changement et pour une grande majorité c’est un outil de réduction des risques efficace.
Que ce soit le tabac ou le cannabis, l’avenir est à l’usage des cigarettes électroniques avec liquides nicotinés et l’usage du cannabis sans tabac ni combustion. J’insiste sur le fait que les risques et dommages sur la santé sont énormément réduits, reste la dépendance au THC, aussi l’ivresse cannabique pouvant entraîner des dommages sur les routes (accidents)… Ça laisse encore des évolutions à construire sur les accompagnements en tabacologie !

Interview de Thibaud Calpe, psychologue et tabacologue au CSAPA Danielle Casanova, par Jihane El Meddeb

CSAPA DANIELLE CASANOVA – GROUPE SOS Solidarités
357, boulevard National – 13003 Marseille
Les horaires d’accueil du public : lundi 9h à 12h30 – 14h à 17h / mardi 9h à 12h30 – 14h à 18h / mercredi et vendredi 9h à 12h30 / jeudi 9h à 12h30 – 17h à 19h
Le CSAPA (Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) Danielle Casanova et son antenne annexe Nord est un établissement de soins spécialisés en ambulatoire pour usagers de substances psychoactives, licites ou illicites. Créé par Médecins du Monde en 1995, le Centre Danielle Casanova est géré depuis 1998 par l’association Prévention et Soin des Addictions, devenu GROUPE SOS Solidarités. Le centre se situe dans le 3e arrondissement, à proximité de la station de métro “National”, dans un quartier classé QPR. La structure accueille un public en situation de grande précarité pour proposer un accompagnement vers le soin et l’insertion sociale.
LES MISSIONS : Les missions du CSAPA ont été précisées par le décret du 14 mai 2007. Elles consistent en l’accueil, l’information, l’évaluation et l’orientation des personnes, et l’accompagnement médical psychologique et social des personnes usagères. Le CSAPA assure l’accès et le suivi des traitements de substitution aux opiacés (TSO) et il maintient une mission de réduction des risques et des dommages (RdRD). Pour répondre à ces missions, le CSAPA propose des : consultations sociales, consultations médicales, consultations tabacologie, consultations psychologiques, ateliers thérapeutiques, consultations VHC, consultations et soins infirmiers, activités spécifiques au TGI.
LE PUBLIC : Le projet thérapeutique a pour socle une prise en charge globale médico-psycho-sociale pour des personnes adultes rencontrant des problèmes d’addictions seules ou en couple, avec ou sans enfants à charge. Le CSAPA Danielle Casanova se caractérise par l’accueil d’un public en situation de grande précarité, en demande d’accès aux traitements de substitution aux opiacés. En 2020, 83% des personnes accueillies étaient des hommes, avec une moyenne d’âge de 43 ans, et 17% des femmes, avec une moyenne d’âge de 40 ans.
LES MODALITÉS D’ADMISSION : L’orientation peut être faite par des structures partenaires, par l’entourage ou la personne elle-même.
Après évaluation, chaque demande donne lieu soit à une proposition de prise en charge adaptée et personnalisée, soit à une orientation vers un autre dispositif. L’accueil est gratuit et anonyme, accessible aux personnes handicapées. Les animaux sont admis.
DES PROJETS INNOVANTS. Deux projets expérimentaux permettent d’améliorer l’accès et la continuité des soins, dans le cadre de la mission CSAPA :
Le projet externalisé. Depuis 2018, un accompagnement externalisé vers une prise en charge en médecine de ville est proposé aux personnes les plus autonomes et stabilisées sur le CSAPA.
Le projet inter-pair. Ce projet multi-partenarial, coordonné par le CSAPA Danielle Casanova, a démarré en janvier 2020. L’objectif est d’une part, d’améliorer l’accompagnement au parcours de soin des personnes allophones, via la présence d’interprètes ; d’autre part d’intégrer des travailleurs-pairs au sein des structures.

L’ÉQUIPE pluridisciplinaire se compose de :
Pôle éducatif et social : 3 éducateurs spécialisés, 1 assistante sociale.
Pôle accueil : 2 chargés d’accueil.
Pôle psychologique : 2 psychologues, dont 1 tabacologue.
Pôle médical : 1,8 ETP médecins addictologue et psychiatre, 4 ETP infirmiers.
Pôle de direction : 1 directrice, 1 chef de service.
Pôle logistique : 1 secrétaire, 1 agent d’entretien, 1 coordinatrice de projet inter-pair.

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