SIDA

Sida : la catastrophe du XXème siècle pourrait-elle apporter des recettes pour éviter celles à venir ?
C’est à partir d’une surveillance épidémiologique stricte que l’émergence d’une nouvelle maladie fut signalée au tout début des années 80, aux Etats-Unis par le CDC (Centers for disease control and prevention) d’Atlanta. C’est aussi parce que des cliniciens français étaient intéressés par l’épidémiologie que les premiers cas nationaux furent signalés. Très vite la nécessité de rassembler toutes les parties prenantes dans ce qui allait être l’épidémie du siècle sauta aux yeux de tous. En effet, les médecins se trouvèrent très rapidement bien désarmés face à un virus qui décimait toutes les personnes qui en étaient porteuses. Parallèlement les personnes affectées ou infectées par le VIH, n’avaient d’autre salut que de se regrouper, s’organiser, se renforcer pour lutter d’abord contre ce virus par la recherche d’informations tous azimuts – qui était bien plus difficile qu’aujourd’hui puisqu’Internet n’était pas disponible – mais aussi contre l’ensemble de ceux qui voulaient stigmatiser, discriminer, mettre au ban de la société, toutes celles et tous ceux qui étaient infectés par ce nouveau virus.

A l’époque nos seuls alliés étaient les équipes de chercheurs, les équipes de soignants (et encore pas tous) et nous nous devions de diffuser une information sûre, vérifiée, validée par les pairs, car dans le camp adverse il y avait tous les réactionnaires, les extrêmes droitistes et les négationnistes (qui niaient l’implication même du VIH dans l’infection qui amenait sans coup férir à l’époque au sida) et eux ne s’embarrassaient pas avec le souci de vérité et de précision. Certes les FAKE NEWS n’existaient pas comme telles, les réseaux sociaux n’avaient pas été inventés et il y avait 5 chaines de télé en France et aucune d’information en continu, pour déstabiliser la population, créer un sentiment d’insécurité sanitaire permanent et discréditer le discours scientifique de qualité. Bien sûr à l’époque il y eut, des mandarins (cliniciens ou chercheurs) qui prédirent un vaccin imminent contre le VIH plusieurs fois, ceux qui annoncèrent que l’épidémie était derrière nous en 1988, ceux qui crièrent à la découverte d’un traitement miracle un mardi, et qui constatèrent le décès de tous leurs patients le vendredi. Durant toutes ces années, ce sont celles et ceux qui étaient complétement impliqués dans la lutte, dans leur sang, dans leurs chairs qui permirent une régulation équilibrée de ces trublions aux discours meurtriers. Alors oui nous aurions pu tirer des leçons de 40 ans d’épidémie de VIH pour lutter contre la pandémie qui frappe la terre entière depuis 2 ans, car nous savions ou pouvions imaginer que nous rencontrerions les mêmes écueils.

Durant plus de 5 ans (entre 1981 et 1986) le gouvernement de la République française ne s’est pas clairement positionné en termes de prévention du VIH, et de nombreux retards à l’allumage eurent des effets mortels sur certaines populations (affaire du sang contaminé). A partir de février 2020 avec le SARS COV2, c’est exactement le contraire qui s’est passé : le Chef de l’Etat, les Premiers ministres qui se sont succédé, l’ensemble du Gouvernement ont à chaque instant fait des déclarations publiques, conférences de presse, allocutions officielles, qui apportaient des informations évolutives, mal comprises par les populations, pas infusées, non relayées par celles et ceux qui sont au plus proche des communautés, dans les quartiers, dans les CIQ (comités d’intérêt de quartier), dans les clubs sportifs et ces informations uniquement descendantes ont eu du mal à être digérées, appropriées par les citoyens pour faire en sorte qu’elles soient appliquées et donc deviennent efficaces.

Tout comme ceux qui les avaient précédés dans les concours d’ego de la fin du XXème siècle, certains profitèrent de l’absence de discours venant des communautés pour s’ériger en magiciens et ainsi brouiller un discours déjà difficilement audible. La science n’est pas simple, assener un discours simpliste voire totalement faux et non validé même s’il fait les belles heures des émissions de télé en mal de buzz, ne permet pas de résoudre la situation sanitaire ni d’apaiser des craintes réelles et justifiées de la population.
Tout ce qu’on aurait espéré extraire de 40 ans de lutte contre le VIH en termes de leçons qui nous aurait apporté une meilleure adhésion à une politique préventive est apparu comme seulement contraignant et privatif de libertés. Pour s’assurer de la compréhension de toutes et tous et du soutien de la majorité, il faut pouvoir expliquer les hésitations, reconnaître les erreurs, mentionner les évolutions du virus, de la maladie. Il faut être compris de toutes et tous et que chacun puisse s’accaparer les infos et à son tour être acteur de cette prévention. La prévention des maladies est trop importante pour être idéologique, elle doit être participative et transparente.

Ces quelques lignes pourraient laisser entendre, puisqu’il est question de leçons à tirer de la lutte contre le sida, que cette infection est réglée, que tout cela est derrière nous, et pourtant nous en sommes bien loin.

Il n’est pas question de nier les avancées de ces 20 dernières années : une politique de dépistage facilitée, des traitements de post-exposition (pris après un rapport sexuel au cours duquel un ou plusieurs des partenaires pensent avoir pris un risque), des traitements plus efficaces pris souvent en dose unique journalière avec peu d’effets secondaires, des traitements à longue durée d’action, la mise à disposition de la prophylaxie de pré-exposition (PrEP) qui permet, en prenant un traitement, à une personne séronégative de ne pas se contaminer même en l’absence d’utilisation de préservatif au cours du rapport sexuel, sont autant de progrès immenses pour éviter les contaminations et permettre à celles et ceux qui sont décontaminés de ne pas transmettre le virus et de vivre une vie quasi normale.

Pour autant, il faut introduire un bémol à ces quelques lignes :
-Tous les pays du globe n’ont pas le même accès à ces avancées, moins de la moitié des personnes séropositives sont traitées dans les pays à ressources limitées. Cette absence de couverture totale par des traitements qui existent et qui permettent aussi d’éviter des transmissions a eu un rôle très pernicieux dans les 24 derniers mois, dans l’aventure de la Covid19. En effet, les variants (dont le dernier en date) prennent naissance en particulier chez les personnes fortement immunodéprimées, ce fut en particulier le cas en Afrique du Sud, où 25% de la population est séropositive et une grande partie sans traitement. Cette situation a constitué un réservoir possible pour l’arrivée de nouveaux variants. Pourtant il suffirait de peu, comparé à ce qui a été dépensé pour la lutte contre le SARS COV2, pour mettre sous traitement toutes les personnes dépistées séropositives au VIH. Lors de la dernière conférence de reconstitution du Fonds mondial contre le sida, le paludisme et la tuberculose, il fallait rassembler 14 milliards de dollars sur 3 ans, et la tâche fut ardue. Même si les comparaisons restent dangereuses la France aura dépensé en 3 ans 424 milliards d’euros pour lutter contre la Covid19….
-Les principaux freins à une éradication totale du VIH ont toujours été et restent toujours les politiques discriminantes qui limitent les accès aux dépistages de certains groupes stigmatisés. Ces lois existent dans tous les pays, qu’ils soient au Nord ou au Sud. Pour la France la loi de 70 (relative à l’usage de produits stupéfiants et promulguée il y a 52 ans) est une barrière concrète à la mise en place de programmes adaptés et innovants. Durant ces 40 dernières années il a fallu jouer aux contorsionnistes pour arriver à juguler les contaminations chez les usagers de produits psychoactifs par voie injectable sans, en même temps, contrevenir à cette loi. La pénalisation des clients des travailleuses et travailleurs du sexe, est un exemple parfait d’une loi française contre-productive sidatogène car comme le fait remarquer l’association Médecins du Monde, « La pénalisation des clients a surtout pour effet de rendre l’activité du travail du sexe plus dangereuse », bref cette loi ne protège pas les travailleuses et travailleurs du sexe, elle les met en danger. Dans de nombreux autres pays, des lois stigmatisent des groupes particuliers qui sont ou deviennent alors encore plus vulnérables au VIH, que ce soit ici des hommes ayant des rapports avec d’autres hommes, là des détenus, les cibles sont nombreuses et les résultats sont que les nouvelles contaminations ne reculent pas.
-Il n’y a toujours pas de traitement qui permette d’éliminer définitivement le virus ni de vaccin afin de s’en prémunir.
La tâche est donc immense, et le travail n’est pas terminé. S’arrêter au milieu du chemin serait une hérésie monumentale et une erreur fatale. C’est bien tous ensemble, de façon raisonnée, en s’appuyant sur des données solides et vérifiées que nous mettrons un terme au VIH et en suivant ces préceptes simples peut-être limiterons-nous d’autres maladies à venir.

Michel Bourrelly, ingénieur d’étude Inserm au SESSTIM, militant de la lutte contre le VIH et co-auteur du livre Une histoire de la lutte contre le sida.

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