Sevrages

14/01/22. Il est 3h. Depuis que j’ai arrêté de fumer, je ne dors que par tranches de 3h. Mais je m’occupe.
J’ai passé 1h à chercher une location d’appart en centre-ville, avec piscine. Genre le truc introuvable. Je travaille des photos. Ma déco gothique : le noir accroche la poussière… J’écoute un mixe de Rebeka Warrior. Je suis speed. J’ai envie de prendre des acides. C’est une seconde nature. J’y peux rien. J’en ai perdu chez moi y’a 2 ans. Un truc mystique. J’étais avec Max, je lui dis : « Regarde Max, j’ai des acides » … et pfffou… ça fait 2 ans que je les cherche.
Peut-être que si j’arrête de me droguer j’arriverai à finir de rédiger un récit… Le truc aussi improbable que l’appart avec piscine en ville… Peut-être, en utilisant ma colère et les esprits qui m’envahissent, comme ils disent au CSAPA* : « Oulala, il est très envahi celui-là ! »

Lisa Maïssa

J’ai arrêté de rédiger ce journal une dizaine de jours…

Parce que j’ai re-craqué et me suis acheté 2g d’héroïne.

Pour pas faire déplacer mon dealer pour rien. Parce qu’il est trop beau, qu’on s’entend très bien, mais il a toujours quelque chose sur lui et je peux pas m’empêcher. C’est comme ça.

C’est sûre qu’on n’aurait pas 15 ans d’écart, on aurait vécu un truc ensemble, surtout pour le pire. Mais là, malgré tous ses efforts de séduction, c’est pas comme si je connaissais pas le truc par cœur.
Il est fasciné par mon expérience, par tout ce que je peux lui apprendre sur le business ; il dit : « Je sais que c’est pas possible mais j’aurais tellement aimé faire mes voyages avec toi. » (ça se passe toujours mieux en couple, les frontières).

C’est le genre de gars qui possède une copine parce qu’il peut avoir qui il veut et qu’elle correspond à ses critères minimums requis. Mais il lui cache tout et elle ne comprend rien à sa vie. Du coup, ils se prennent la tête non-stop. Du coup, on a une connexion qu’ils n’auront jamais. Ça m’a souvent fait ça : je suis la seule de leur entourage à qui ce genre de gars peut se confier. C’est dû à mon niveau de tolérance maximal pour toutes leurs conneries, parce que j’ai fait sensiblement les mêmes : je sais pourquoi ils font ça.  

Pour n’être ni productifs, ni reproductifs.

C’est pas si compliqué que ça à comprendre.

Pour résister à toutes formes d’injonctions, quoi que ça nous coûte.

C’est pas si compliqué : les gens parlent souvent de vies gâchées, disent qu’on avait tout pour nous… Les gens… à part juger et regarder ta vie pour ne pas s’occuper de la leur…

Ça a déjà aidé quelqu’un, ce genre de réflexions ?
Bref, je me suis acheté 2g d’héroïne et j’en ai trop pris, ou ça a trop duré plutôt, parce que j’en prends plus autant qu’avant et j’ai dû jeter la fin à la poubelle…

Fais chier l’âge : j’ai plus que des désagréments, quoi que je prenne. C’est plus aussi marrant qu’avant. Alors j’arrête tout, même le pétard, même si j’aurais voulu que la fête ne finisse jamais, mon corps me rappelle à l’ordre. J’ai arrêté de fumer, mais j’ai tellement la dalle ! J’ai pris beaucoup de poids et prendre autant de poids en si peu de temps, assurément ça n’est pas très bon. Je ferais bien du sport mais je ne sais pas quoi, à part danser, je n’en ai jamais refait depuis que j’ai arrêté l’équitation à 18 ans : jusque-là, c’était ma mère qui m’y obligeait. De mes 4 à mes 18 ans, elle m’a forcée à monter à cheval, en compétition : concours complet, sinon ça n’est pas drôle. J’ai appris le dressage, grâce auquel j’ai mieux compris ses méthodes éducatives et comment elle avait elle-même été éduquée. Le cheval a été au centre de ma vie et le seul loisir accordé sur tous mes temps libres. Je montais bien, mais elle a réussi à m’en dégoûter. A 6 ans, j’ai demandé à faire de la danse et j’ai essayé d’apprendre seule à me servir du piano de mon arrière-grand-mère, qu’on avait récupéré. Elle a vendu le piano, m’a accordé une année de danse, puis m’a dit que c’était trop cher et que j’étais nulle. C’est peut-être pour ça que j’ai passé une grande partie de ma vie sur les dance-floors…
J’ai fait un bilan sanguin. Prescrit par une remplaçante de ma médecin. Une nouvelle, que je n’avais jamais vue. Moins de 30 ans.
 « – Bon, nous, des bilans, on en reçoit trop, on peut pas tous les lire, donc lisez-les et revenez s’il y a un problème.

– Mais je ne sais pas lire les résultats. Tous ces chiffres… ça ne me parle pas.

– (agacée) Mais si, vous verrez, c’est facile ! Vous lisez ce qui est marqué en gras, c’est bon, vous allez comprendre ! »

Ben oui, c’est pour ça que t’as fait médecine : pour que je fasse ton taf à ta place, grosse morue.
J’ai lu les résultats, j’ai vu qu’il y avait des chiffres qui ne rentraient pas dans les écarts indiqués, mais ce qui est écrit en face, je ne le comprends pas. Les médecins reprochent aux gens de trop aller sur internet et de paniquer au moindre bobo, sur les forums, Doctissimo et toute cette merde, et elle, elle me demande de lire mon bilan sanguin…

Mes jambes ont dégonflé (oui, ça va : j’arrête aussi l’héroïne ; ils ont définitivement fini de la massacrer, dans le Nord – je le sens ; j’en ai vendu tellement, et tellement consommé de la pure, je sais pas ce qu’ils foutent dedans, mais c’est pas anodin comme produit de coupe).
Bref, je ne peux plus rien prendre. Je suis trop âgée, à chaque fois ça se passe mal.

Marie d’Alexis, MSP au CEID, à Bordeaux

*CSAPA : Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie

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