La recherche communautaire pour du subutex injectable

Quand la recherche communautaire vient en aide à la mise en place d’un essai clinique sur l’évaluation de la buprénorphine intraveineuse : l’étude prébupIV.

Alors qu’une poignée de pays a déjà permis l’accès à des traitements injectables pour la dépendance aux opiacés, essentiellement avec l’héroïne médicalisée (1), la France a timidement démarré une réflexion sur cette question-là en 2010, suite à la publication de l’expertise collective Inserm sur la réduction des risques infectieux (2). Dans ce document, les recommandations incluent la nécessité d’élargir la palette des traitements disponibles pour les personnes dépendantes aux opiacés avec de nouvelles formes galéniques comme la forme injectable pour les personnes réfractaires aux traitements oraux car préférant l’injection. C’est dans cette dynamique que la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues Et les Conduites Addictives (Mildeca) a sollicité notre équipe du SESSTIM pour créer un groupe de travail afin de réfléchir aux modalités d’évaluation et d’accès à un traitement injectable (par voie intraveineuse) en France. Constitué de chercheurs, de médecins addictologues, de représentants d’associations communautaires (ASUD, AIDES et PsychoActif) et d’institutionnels, ce groupe a commencé à réfléchir au traitement à développer et aux modalités d’évaluation. Pour nous, l’important dans cette aventure académique était d’impliquer dès les premiers pas les intervenants de terrain et les usagers et de construire un projet de recherche communautaire afin de répondre au mieux aux besoins des personnes concernées.

Après avoir envisagé les différentes molécules pouvant répondre aux besoins des usagers qui injectent des opiacés, allant de la diacétylmorphine (héroïne médicalisée) au sulfate de morphine (Skénan®) jusqu’à la buprénorphine (Subutex®), c’est cette dernière qui est apparue comme la plus consensuelle et la plus réaliste pour parvenir à une autorisation de mise sur le marché (AMM)1 pour le premier traitement injectable. Les avis très partagés sur cette question ont laissé la place au pragmatisme en laissant l’espoir que ce choix ouvrirait la voie à d’autres formes injectables. A ce jour, la buprénorphine intraveineuse – une molécule moins à risque d’overdose que les agonistes complets comme l’héroïne, les morphiniques ou la méthadone – n’a jamais été évaluée dans le cadre d’un essai clinique sur la dépendance aux opiacés.
Au vu des données épidémiologiques dont nous disposons en France, cette option apparaît intéressante pour une partie des injecteurs de drogues qui ne répondent pas aux traitements de substitution aux opiacés par voie orale. L’enquête Oppidum montre que les deux premiers opiacés utilisés par injection sont le sulfate de morphine (21%) et la buprénorphine (16%) (3). La buprénorphine se présente sous forme de comprimés à prendre de manière sublinguale.
Cependant, plusieurs études montrent qu’une partie non négligeable des patients traités utilisent le médicament par voie intraveineuse. Dans une
enquête en région PACA, 33% des patients traités par buprénorphine déclarent avoir injecté la buprénorphine depuis le début de leur traitement (4) et l’enquête Ena-CAARUD montre que 46% des usagers de Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues (CAARUD) consommateurs de buprénorphine injectent le médicament avec souvent des conséquences problématiques pour la santé des usagers (5). Ces constats suggèrent qu’un traitement injectable à base de buprénorphine serait pertinent pour ces personnes dépendantes aux opiacés pour lesquelles les traitements existants ne sont pas efficaces voire même nocifs. Pourtant de nombreuses questions résidaient sur, d’une part, les modalités d’accès au médicament (format du médicament, dosage, posologie, suivi médical, …) et, d’autre part, sur les méthodes d’évaluation de ce futur traitement (sélection des participants, groupe comparatif, …).
C’est dans ce contexte, en préambule d’un essai clinique pour évaluer la buprénorphine intraveineuse, que nous avons réalisé en collaboration avec l’association AIDES une enquête préliminaire, l’étude PrébupIV, auprès des injecteurs d’opiacés afin de comprendre leur profil, leurs pratiques ainsi que leur acceptabilité vis-à-vis d’un traitement par buprénorphine intraveineuse. Elle leur a été proposée via le site Psychoactif 2 ou dans les CAARUD3 ainsi que les CSAPA4 ou par la médecine de ville (les médecins généralistes) afin de toucher différents profils de la population susceptible de recevoir un traitement par buprénorphine intraveineuse. Le questionnaire a été réalisé avec des acteurs de terrain puis testé auprès des usagers de drogues eux-mêmes afin d’ajuster la clarté et la pertinence des questions.

Au total, 557 participants ont rempli le questionnaire soit par entretien réalisé par les intervenants des structures (CAARUD ou CSAPA ou médecine de ville) en face-à-face pour 398 personnes, soit en ligne sur Psychoactif pour 159 personnes. Après avoir sélectionné les personnes éligibles pour un traitement par buprénorphine injectable5 , soit 371, nous avons observé que 83% d’entre elles étaient favorables à recevoir ce traitement (6). Les pratiques d’injection d’opiacés nous montrent que 58% de l’échantillon injectaient principalement de la buprénorphine en comprimés, 15% de l’héroïne, 17% du sulfate de morphine en comprimés et 10% d’autres opiacés (méthadone, oxycodone, codéine).
Chez les injecteurs de buprénorphine, la dose médiane injectée quotidiennement était de 12mg avec une fréquence médiane de 3 injections par jour. En creusant les facteurs associés à cette acceptabilité, les personnes ayant rempli le questionnaire en ligne, celles déclarant plus de complications liées à l’injection, celles injectant principalement de la
buprénorphine et enfin celles n’ayant jamais fait d’overdose étaient plus favorables à recevoir un traitement par buprénorphine intraveineuse.
Une seconde analyse a permis d’identifier les facteurs associés à l’acceptabilité de ce traitement supervisé systématiquement en CSAPA (que chaque injection de ce traitement soit faite sous surveillance dans un CSAPA). Les personnes qui n’acceptaient pas de recevoir ce traitement supervisé tous les jours au centre sont les plus jeunes et celles vivant dans un logement stable. Enfin, les injecteurs d’héroïne étaient plus à même d’accepter un traitement supervisé. Ces résultats nous montrent une forte acceptabilité de la part des injecteurs d’opiacés pour recevoir un traitement par buprénorphine intraveineuse et d’autant plus élevée chez ceux qui injectent déjà des comprimés de buprénorphine et ceux qui présentent des complications liées à l’injection fréquente d’opiacés. De plus, un cadre de prise en charge où chaque injection est supervisée au CSAPA ne conviendrait pas aux personnes les plus insérées et les plus jeunes.
Parallèlement à cette enquête, les différentes rencontres que nous avons organisées avec les usagers et le laboratoire pharmaceutique en
charge du développement du médicament nous ont permis d’affiner les données issues de cette enquête. Un point d’incertitude majeur persistait
quant à la posologie nécessaire pour répondre aux besoins des usagers. En d’autres termes, quel serait le dosage à prescrire à un patient qui injecterait 8mg par jour par exemple ? L’enquête montrait une quantité médiane de comprimés de buprénorphine injectés de 12mg par jour soit 4 mg par injection et les rares études existantes estiment que moins de la moitié du produit reste en solution après préparation et dilution du comprimé. Afin de s’assurer de ces données, nous avons demandé à des usagers de préparer leur solution tel qu’ils le font habituellement (mélange, filtration, prélèvement) et nous avons mesuré la concentration en buprénorphine de la solution ainsi prête pour l’injection. Les résultats montrent qu’il restait près de 90% de buprénorphine dans la solution à injecter, confirmés par une série d’études d’extraction réalisées par le laboratoire dont les résultats s’échelonnent entre 80 et 90%.
Cette donnée est importante puisque dans le cas d’un traitement injectable, 100% de la buprénorphine injectée se retrouvera dans le sang. Alors que nous étions partis sur un dosage maximal de 1mg par ampoule IV, nous avons dû revoir à la hausse ce dosage et décidé de proposer pour le futur médicament un dosage supplémentaire à 4mg par ampoule.

Ainsi, plusieurs résultats viennent nous éclairer sur la définition d’un cadre de prise en charge adapté pour les usagers et sur la proposition d’un protocole de recherche pour l’évaluation de la buprénorphine intraveineuse. Tout d’abord, cette enquête a permis d’en savoir plus sur le type de suivi le plus adapté pour la prise de ce médicament, avec la possibilité pour les patients les plus stabilisés de recevoir des traitements
non supervisés, c’est-à-dire des doses à prendre à la maison. Cette condition implique bien sûr que les patients soient formés aux bonnes pratiques d’injection grâce à des sessions d’accompagnement à l’injection (AERLI6) pour éviter les complications dues aux injections quotidiennes. Enfin, sans l’intervention des usagers et des intervenants de terrain, nous n’aurions pas proposé le médicament adapté aux besoins des usagers en demande de soins qui injectent aujourd’hui, non sans complications, la buprénorphine en comprimés et pour ceux qui injectent d’autres opiacés, faute d’accès à un traitement injectable validé et reconnu par la communauté médicale.

Perrine Roux, Chercheuse en Santé Publique,
Inserm et SESSTIM

1 AMM : autorisation nécessaire à un médicament pour qu’il puisse être prescrit et délivré à un patient
2 http://www.psychoactif.org
3 CAARUD : Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues
4 CSAPA : Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie
5 C’est-à-dire des personnes qui s’injectaient régulièrement des opiacés et qui avaient déjà pris un traitement de substitution aux opiacés au cours de la vie
6 AERLI : Accompagnement et Éducation aux Risques Liés à l’Injection est une session d’éducation délivrée par des pairs ou des intervenants qui travaillent dans des structures comme les CSAPA ou les CAARUD aux consommateurs de drogues par voie intraveineuse afin d’améliorer leurs pratiques d’injection

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