RdR prison & crise Covid

Le point sur la situation, d’après un entretien mené auprès des deux psychiatres du CSAPA des Baumettes : Dr Bagnis et Dr Follet.

Partie 1 : Drogues et réduction des risques (RdR) en prison, accompagner vers la sortie les personnes avec une addiction

  1. Pourriez-vous présenter en quelques mots le CSAPA des Baumettes ?

Le CSAPA des Baumettes, c’est un CSAPA (Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) comme tous les CSAPA de France, si ce n’est qu’il est intra-carcéral, qu’il s’occupe uniquement des détenus pendant l’incarcération, et que sa mission peut parfois excéder la sortie jusqu’à ce qu’il y ait un relais de prise en charge avec les partenaires extérieurs. Les différentes missions du CSAPA des Baumettes sont la prise en charge de toutes les addictions, la substitution aux opiacés, l’accompagnement médico-social et infirmier à l’intérieur de la détention, et la préparation à la sortie.

Le CSAPA des Baumettes se compose de deux médecins spécialistes, d’infirmières, de travailleurs sociaux, d’une secrétaire et de deux psychologues.

Le CSAPA intervient aux Baumettes, mais aussi à l’EPM (Etablissement pénitentiaire pour mineurs) par l’intermédiaire d’un travailleur social. Un travail de partenariat est aussi en cours d’intervention à l’UHSA (Unité hospitalière spécialement aménagée). Il y a également un travailleur social du CSAPA qui intervient à la SAS (Structure d’accompagnement à la sortie), notamment dans un projet de RdR avec par exemple l’installation d’un distributeur de préservatifs et d’un distributeur de seringues à destination des permissionnaires1 (et non pas pour l’intérieur de la prison) à la fois pour la SAS et le CSL (Centre de semi-liberté).

2. Quelles sont les drogues consommées en prison ?

Ça dépend des publics. Mais avant tout le tabac, parce que quand on parle d’addiction, on parle avant tout du tabac, qui touche 85% des patients du CSAPA, et on peut dire que la moitié de ces patients sont très dépendants au tabac.

Les autres drogues les plus consommées sont le cannabis, et de plus en plus la cocaïne (en poudre et basée). On a d’ailleurs acquis du matériel, comme des pipes à crack. On a depuis peu l’autorisation de les distribuer, de façon très ciblée, pour les personnes qui nous disent baser2.

Quant à l’alcool, il y en a très peu en prison. Les détenus en fabriquent parfois, surtout dans les prisons du Nord et de l’Est de la France, ici il n’y en a pas tant que ça. Ce sont plutôt des consommations ponctuelles, pendant la période des fêtes de Noël par exemple. Chez les femmes, régulièrement il y a des parachutes3 avec des flasques d’alcool. Mais c’est minoritaire par rapport au cannabis ou à la montée de la cocaïne.

Le Subutex® aussi est consommé, et tous les médocs possibles et imaginables, tel que le Lyrica®4 nous avons retiré volontairement de la pharmacie des Baumettes parce que nous avions une demande croissante, difficilement gérable, plutôt chez les jeunes migrants ou les jeunes en difficulté. Les benzo5 aussi sont très consommées. Les demandes de Rivotril®6 sont toujours très importantes, bien qu’on ne le prescrive plus. La Ritaline®7 non plus, on ne la prescrit plus aux Baumettes.  

Nous sommes face aussi à des demandes croissantes d’Artane®8, ou de Parkinane®9 qui touchent particulièrement les gens qui viennent d’Afrique du Nord, dont les mineurs non accompagnés à l’EPM.

Et enfin, ponctuellement, l’ecstasy, les cathinones10 etc., dont les gens parlent mais il y en a très peu dans les murs.

3. Aujourd’hui, on en est où de la RdR en prison ?

La réduction des risques en prison, comme je dis toujours, en gros tout est permis ! Sauf les seringues. On donne des roule-ta-paille, même si au final on n’en donne pas tant que ça parce qu’on pense que nos roule-ta-paille sont trop visibles. Dessus il y a des messages de prévention, il y a écrit « CSAPA », ils sont bleu pétrole. Bref, il faudrait quelque chose de plus neutre pour que ce soit plus accepté, et on y réfléchit !

On donne aussi des préservatifs, de la main à la main ou dans un présentoir, dans les lieux de soins essentiellement. Des pipes à crack, comme on le disait précédemment. On propose des dépistages pour le VIH, l’hépatite C, l’hépatite B ou encore la syphilis. Et on propose aussi la vaccination pour l’hépatite B.

On distribue du Prenoxad®11 à tous les patients sous traitement de substitution aux opiacés, à qui on propose une formation de 2h. Le Prenoxad® leur est distribué à la sortie.

On essaie d’impulser la logique de RdR dans les équipes, on en parle mais ce n’est pas facile de changer le vieux paradigme du sevrage et de l’abstinence en prison. Dans les faits, peu de soignants sont formés à la RdR. On en parle beaucoup parce que c’est la meilleure façon pour travailler (en détention ou hors détention) sur comment vivre avec le produit, quelle que soit la dose, quelle que soit la façon dont on consomme, plutôt qu’à tout prix diminuer ou arrêter. Pour la majorité des usagers, quand ils arrivent en détention, leurs revendications c’est « je veux être clean, je veux arrêter, je veux diminuer etc. ». L’idée c’est de comment avancer avec ça 

4. Comment ça se passe pour les personnes dépendantes à l’alcool en prison ?

À l’arrivée, on donne quasiment systématiquement des benzo à toute personne dépendante à l’alcool. Pour le moment, je n’ai jamais vu de delirium tremens aux Baumettes. On a parfois des personnes qui sont un peu en sevrage parce qu’elles n’ont pas osé le dire à leur arrivée. La prise en charge du sevrage est considérée. Après, il n’y a pas de spécificité de l’accompagnement pour la prise en charge de l’alcool au long cours. Il y a un accompagnement médico-social qui se fait ; pas automatiquement au CSAPA, à l’UCSA pour certains, voire au SMPR pour d’autres. Cet accompagnement bute un peu du fait d’être très théorique, virtuel et suspendu. Comme je dis au patient : « Votre vie est dehors et quand vous allez ressortir, l’alcool vous allez de nouveau vivre avec ». Ils ont l’impression, comme ils sont sevrés de force que tout va bien, qu’ils sont guéris de l’alcool. Mais souvent le partenariat avec l’alcool recommence à l’extérieur. Donc on peut en parler avec eux, et d’ailleurs on le fait, mais c’est très théorique.

Je dirais que le travail qu’on fait en addiction en détention, ce n’est pas le travail qu’on fait en extérieur, parce qu’on est dans un lieu différent, avec une disponibilité des produits différente et des gens qui ne sont pas comme ils sont à l’extérieur, parce qu’ils sont enfermés, ils n’ont pas la liberté d’agir, de se mouvoir, de rencontrer autrui : donc c’est très théorique.

Le plus gros travail qu’on puisse faire, je pense, c’est les accompagner à avoir des personnes ressources à l’extérieur, qui vont les aider dans leur parcours (social ou médical), et les aider avec leurs addictions. Fondamentalement, l’idée de « je suis arrivé en prison, je suis sevré », « c’est super, je vais tout arrêter » c’est beau, mais… c’est utopique. On est face à un instant de répit forcé dans leur vie, sur lequel on peut réfléchir, mais surtout on est là pour leur rappeler que « l’extérieur va revenir », « est-ce qu’on peut trouver des ressources à l’extérieur pour vous aider le moment venu ? » C’est pas la normalité la prison ! 

D’ailleurs, les patients appréhendent très souvent la sortie, parce que finalement en détention ils sont un peu protégés des consommations, notamment d’alcool, et ils savent très bien que quand ils vont sortir…

Partie 2 : Les soins au CSAPA pendant la période Covid

  1. On a parlé de personnes remises en liberté lors du premier confinement mais il semblerait que la stratégie n’ait pas duré ? Qu’en est-il vraiment ?

En fait, pendant le premier confinement il y a eu beaucoup moins d’entrées, qui ont chuté complètement, avec beaucoup plus de sorties et notamment d’aménagements de peines.

Il y a également eu des RPS (réduction supplémentaire de peine) en plus et les deux mois de « grâce COVID » donc les gens sont sortis plus tôt.

Mais effectivement, ça n’a pas duré.

2. Y a-t-il eu des changements significatifs dans vos manières de travailler en prison, en période de Covid ?

Ça a forcément eu des répercussions, surtout sur les groupes, les ateliers thérapeutiques, pour lesquels on a dû diminuer le nombre de patients. Certains ateliers ont même été supprimés en période de confinement, comme par exemple l’atelier théâtre où c’était un peu compliqué, notamment au début, car il n’y avait pas de masque. Il y a eu des répercussions, mais on a essayé de maintenir les soins aux Baumettes, je pense, au mieux.

Pendant le premier confinement surtout, la politique était de protéger le personnel hospitalier, donc on a diminué le personnel sur place. On a diminué les mouvements aussi parce qu’on ne voulait pas qu’il y ait une concentration de patients dans les salles d’attente où ils peuvent être très nombreux. On a pas mal travaillé pour limiter le nombre de patients qui viennent par créneau. Et c’est vrai que tout ça, ça nous a fait réfléchir différemment la prise en charge, plus dans le cadre de flux que dans le cadre individuel. Pour la distribution des médocs, les soins, ça, ça n’a jamais changé. Rien ne s’est arrêté.

On a des patients qui sont confinés car à leur arrivée en prison on confine tous les détenus pendant 7 jours. Nous on peut les voir quand même s’il y a besoin, mais ça crée un degré de plus de complexité.

Pendant le premier confinement, j’ai eu l’impression qu’on avait beaucoup moins de demandes ! Comme si les détenus étaient un peu comme à l’extérieur, dans leurs cellules, dans l’attente de voir ce qui allait se passer. Ils n’ont pas eu de parloir à un moment donné et ils avaient beaucoup d’inquiétude par rapport à leur famille.

On a eu cette impression de diminution de la demande mais une évaluation des prescriptions de benzo a montré que pendant le premier confinement, le nombre de consommations de benzo, mais aussi de tous les produits sédatifs qu’on peut utiliser, a grimpé, de façon exponentielle ! Après le confinement tout ça est revenu à la normale. Chose que moi en tant qu’individu, je n’avais absolument pas perçu. Quelque part, l’angoisse ambiante, la nôtre, celle des détenus, du monde, a rejailli sur notre prescription. La prescription du sédatif, par définition, traduit l’angoisse, et il faut être clair, chez le soignant et chez le soigné, cette angoisse elle a existé. C’est important, c’est le genre de chose intéressante en santé publique, parce que parfois, on ne voit pas les choses quand on est soignant. On les voit quand les chiffres nous les montrent à posteriori. Et donc ça nous fait réfléchir sur notre pratique.

Entretien avec Dr Bagnis et Dr Follet, psychiatres du CSAPA des Baumettes, réalisé par Marie Dos Santos, le 3 mars 2021

1. Personne incarcérée ayant une permission de sortir. « Une permission de sortir est l’autorisation donnée à une personne condamnée de s’absenter d’un établissement pénitentiaire pendant un laps de temps déterminé ». Plus d’info sur les permissions ou autorisation de sortie voir l’OIP (Observatoire international des prisons) : https://oip.org/fiche-droits/les-autorisations-et-permissions-de-sortir/ 
2. La cocaïne est écrasée et mélangée à de l’ammoniaque ou du bicarbonate de soude, elle est alors fumable sous la forme d’un caillou.
3. Lorsque des colis sont envoyés illégalement au-dessus des murs de la prison.
4. La prégabaline, commercialisée notamment sous la marque Lyrica®, est une molécule utilisée dans le traitement des douleurs neuropathiques, de l’épilepsie et du trouble anxieux généralisé.
5. Les benzodiazépines, comme le Valium® par exemple, ont longtemps été les somnifères les plus utilisés. Ces médicaments psychotropes sont en fait des anxiolytiques qui ont aussi un effet sur les troubles du sommeil.
6. Le clonazépam, commercialisé notamment sous la marque Rivotril®, est une molécule médicamenteuse de la classe des benzodiazépines, qui a une action myorelaxante, anxiolytique, sédative, hypnotique, anti-convulsivante et amnésiante, et dont l’utilisation à long terme présente un risque de dépendance très élevé.
7. La Ritaline® est composée de méthylphénidate dont les propriétés pharmacologiques sont comparables à celles des amphétamines. Ce médicament est prescrit dans le cadre du traitement de l’hyperactivité.

8. Le trihexyphénidyle, commercialisé notamment sous la marque Artane®, est un médicament anticholinergique appartenant à la classe des antimuscariniques. On l’utilise depuis des décennies contre les symptômes de la maladie de Parkinson ainsi que contre certains effets indésirables des traitements neuroleptiques.
9. Médicament similaire dans sa composition à l’Artane®, c’est un traitement antiparkinsonien.
10. La cathinone est un alcaloïde provenant des feuilles du khat, un arbuste africain, dont elle constitue le principe actif. Elle possède des caractéristiques proches de celles des amphétamines. Les cathinones sont surtout consommées en contexte sexuel chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.
11. L’antidote des morphiniques en cas d’overdose, sous forme injectable.

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