Afin d’éclairer les interactions entre opiacés et libido, l’équipe SaNg d’EnCRe a interrogé plusieurs consommateurs, hommes et femmes, sur leur parcours, leur relation à la substance et les répercussions de cette dernière sur leur vie sexuelle. Ci-après 4 témoignages de cette expérience trop souvent tue bien que largement partagée.
Témoignage 1

Lors de mes premières prises d’héroïne, ou du moins quand je ne prenais pas d’opiacés tous les jours, et que je n’abusais pas trop (car si on en prend trop, on pique du nez et l’on s’endort), j’entrais dans un genre d’«état de grâce » où j’étais au top de mes performances, de plus cela retarde voire empêche l’éjaculation donc je devenais une espèce de dieu du sexe, comme dans les films X, tant qu’on garde cet équilibre, je pouvais continuer à faire plaisir à ma partenaire et c’est souvent elle qui demandait grâce.
Par contre, plusieurs heures après la dernière prise, ça faisait l’effet inverse, comme l’effet de constipation qui disparaît d’un coup (comme dans Trainspotting), c’est la même chose au niveau du sexe, d’un coup ça me rendait carrément éjaculateur précoce du coup afin de pallier cela, j’essayais d’en avoir si je devais passer la nuit avec ma copine.
Au fil du temps, à force d’en abuser, on devient dépendant et on en a besoin tous les jours, au début étant sans travail et habitant seul je pouvais rester 3 jours chez moi en manque sans voir personne, mais avec le travail et la copine, je voulais pouvoir assurer au boulot et au lit et donc c’est devenu quotidien, quand il n’y avait rien je prenais de la méthadone et au début pareil en alternant entre l’héroïne et la méthadone j’arrivais à rester quelques jours sans rien.
Mais à présent ce n’est plus le cas, je prends de la méthadone quotidiennement et du sulfate de morphine et petit à petit, j’ai eu de moins en moins de libido, déjà, je me suis habitué et l’effet de constipation se fait de moins en moins sentir à moins de trouver de l’héroïne très forte, mais du coup je pique du nez et ce n’est pas top pour le sexe, même si ça ne m’est jamais arrivé de m’endormir pendant l’acte, parfois je pense que ça pourrait m’arriver !
Témoignage 2
Avant d’envisager les mots « opiacés » et « libido » dans un même témoignage, il me semble nécessaire (quoique redondant pour tous ceux qui connaissent déjà le problème), d’expliquer brièvement ce qu’ont pu signifier pour moi ces « opiacés ».
Une solution miracle, donc. A la fois apaisante, anxiolytique, anti-douleur, et stimulante.
Tout ça à la fois.
Proportionnellement aussi magique à « l’aller », qu’immonde et rampante au « retour ».
Dans ces conditions, libérée de tout souci, la voie du bonheur semble tracée toute droit devant. Certes, c’est un leurre, mais un leurre diablement efficace. On pensera au lendemain demain. Et pour le coup, artificiellement mais si incontestablement heureux, tout bonheur supplémentaire est bon à prendre, le sexe en faisant partie.
Cela marche on ne peut mieux au début ; ou plutôt au début ET selon les doses. Opiacés et libido font bon ménage. Inspirants, désinhibants, jusqu’à ce que subrepticement, les premiers se substituent à la seconde. Complètement.
L’état de plénitude est tellement total qu’il semble ne plus rien manquer au bien-être. C’est là que la chose me semble effarante : parmi les quelques bonheurs que la vie nous procure, le sexe se voit relégué en seconde position, loin, très loin derrière les produits.
Le fait est qu’on n’y pense plus. Le corps lui-même peut se mettre sur « pause » (dans mon cas passé), et il n’en résulte aucune frustration. Cela semble comme mort au-dedans et sans grand intérêt de toute façon…
La bonne nouvelle est que cela revient.
« Et si on posait la pompe pour retrouver le chemin de la culotte ? »
Témoignage 3
Quand j’ai commencé l’héroïne, ma libido a explosé, et l’envie de sexe était boostée par le produit. Au début, mes performances étaient hallucinantes, plusieurs heures de sexe sans problèmes (juste quasi impossible de jouir). Après plusieurs mois de sexe et de came me voilà coincé, car quand il n’y a plus de produit, mes performances, à l’inverse, durent 30 secondes, à peine l’érection arrive, quelques caresses et sans aucun contrôle possible, le sperme arrive sans prévenir, presque mécaniquement. Ce problème m’a donc fait oublier mes consignes et règles que je m’imposais, comme jamais 2 soirs de suite, au moins 5 jours entre les prises (j’étais célibataire à l’époque). Ces règles m’ont permis de consommer sans être accro de 15 à 35 ans. Mais, après 1 an de célibat et la découverte du sexe sous héroïne, j’ai privilégié les rencontres et les envies plutôt que la raison et petit à petit pour ne pas me sentir impuissant je suis devenu dépendant et j’ai commencé un traitement de substitution, car quotidiennement, le porte-monnaie ne suit plus et les périodes de pénurie nous y obligent. Après plusieurs années de substitution, je remarque des absences totales de libido puis ça revient, mais je reconnais que ça joue et que c’est parfois dur à gérer.
Témoignage 4
Le désir, les drogues, l’explosion des sens, l’extension du temps, lenteur heureuse, plaisirs exponentiels. Flotter, faire durer, se laisser aller au piquage de nez, se laisser partir, faire corps avec l’autre, redécouvrir la matière chair, la douceur…
Pourtant trop souvent ne pas atteindre la jouissance, être très près, avoir très chaud mais sans l’atteindre comme si le bien-être procuré par la drogue prenait tellement le dessus que la jouissance n’était accessible qu’hors de cette bulle, en y mettant un certain acharnement…
Avoir envie de rester dans ce trou spatio-temporel cotonneux, nus sans plus jamais se lever car se lever semble inutile un jour, difficile un autre et impossible parfois, plein d’envies et de motivations aux mouvements s’éloignent voire disparaissent tout bonnement… Le désir sexuel aussi passe peu de temps après en second plan, il accompagne la consommation… La défonce et l’extase prenant le dessus et s’installent comme une habitude qui s’affadie…
Je ne suis pas tombée de la dernière pluie alors j’ai vite su par exemple que je n’étais pas faite pour prendre de l’héroïne plusieurs jours de suite, car elle gagne sur ma libido et ailleurs….Elle fait de moi son yoyo dans des tourbillons de désirs, de vapeurs et d’harassements.
En phase de redescente, quand s’estompent les effets perchants je vomis beaucoup et mange peu voire plus du tout… Rien ne passe, je me sens faible dans un corps qui pèse des tonnes et ça ce n’est pas super non plus niveau libido…
L’héroïne (si elle est bonne) remonte chez moi en vagues les jours d’après, bref j’ai du mal à me retrouver, elle prend de la place en moi, ce qui m’accroche, me gratte le cerveau, me donne envie d’encore mais je me sens perdue et ça, ça n’attise ni ma libido ni mon envie de « tomber » niveau conso dans la régularité/ la dépendance.
En plus l’habitude estompe les effets ou tout simplement estompe l’effet de découverte et perd de son attrait.
Cet état de redescente entre perte de repères émotionnels, tristesse, ennui, sentiment d’insipidité, je ne l’aime pas… les redescentes désagréables m’ont beaucoup protégée, quelque part elles m’ont motivée à complètement faire sortir un max de produits de ma vie !
Mais nous (les consommatrices de drogues), on est pas les seules à galérer avec la libido et les opiacés… y a toutes celles qui prennent des opioïdes à toc, entre fentanyl, oxycodone et autres médicaments légaux… Souvent elles ne se rendent compte que bien après qu’il y a un rapport entre les médocs et la libido… La libido disparait discrètement et le lien n’est pas toujours évoqué par les médecins si on ne leur parle pas de notre libido… Au début on veut jamais s’avouer qu’un produit nous bousille ça ou là… Surtout quand on est déjà dans une consommation quotidienne. C’est difficile de choisir d’éloigner quelque chose qui te fait tripper loin même si tu sais que ça t’envahit puis t’écrase le désir… Et puis ce qui peut être dur c’est que c’est un peu longtemps après avoir dégagé des produits que reviennent d’intenses désirs !