Modus Bibendi

En 2018, dans SaNg d’EnCRe n°2, nous publiions « Une brève histoire de la picologie », de Matthieu Fieulaine.
Aujourd’hui dans cette lignée nous vous présentons Modus Bibendi : une aventure collective et militante en faveur de la Réduction des Risques alcool.

Crée en 2017 par Matthieu Fieulaine et Gilles Foucaud, rejoints rapidement par Lilian Babé, le collectif Modus Bibendi compte aujourd’hui 40 membres actifs ainsi qu’environ 400 personnes signataires de la charte de la RDR Alcool qu’il a rédigée afin d’affirmer les principes et objectifs qui animent son action.

Au début de notre histoire collective, il y a le constat partagé que dans nos professions (travailleurs sociaux, juristes, journalistes, sociologues, médecins, responsables de structures sanitaires et sociales, professionnels de l’hébergement…), dans nos engagements citoyens ou dans nos vies personnelles, les discours sur l’alcool ne laissent pas de place à la subtilité : soit on boit « comme tout le monde » soit on se doit de changer drastiquement nos pratiques quand il ne s’agit pas purement et simplement de les arrêter. Cet Oukase est repris par l’ensemble des agents qui participent au maintien de l’ordre moral et sanitaire : législateurs, gouvernants, soignants –y compris du secteur spécialisé en addictologie-, aidants, employeurs mais aussi entourage familial, proches et autres repentis de l’usage.

Nos expériences respectives démontraient deux choses : cette « évidence » qui n’en est pas une, si elle sied à celles et ceux qui trouvent leur salut dans l’abstinence ou dans la consommation « modérée », plonge des dizaines de milliers de personnes dans la souffrance, dans la solitude, dans le renoncement aux soins et dans la rupture avec leur entourage.

Ensuite, qu’il y a tout un champ d’accompagnement d’aide et de soins possibles en « faisant avec » les réalités des personnes usagères qui comme n’importe qui d’autre, cherchent à prendre soin d’elles-mêmes, y compris dans un contexte de maintien des usages. Ce que nous nous efforçons de mettre en oeuvre dans nos fonctions respectives autant que dans l’accompagnement aux changements des postures et pratiques des professionnels et des proches.

Autre moteur de notre engagement : le constat que tend à être redéfinie une approche de RDR (devenue RDRD) « light », vidée de toute substance subversive, de toute contestation d’un ordre moraliste, sanitaro-centré à tendance hygiéniste et dont la question alcool offre le parfait exemple :

La seule alternative à l’abstinence devient la consommation dite « responsable », ou maîtrisée » ou « contrôlée », où le professionnel apprendrait au « patient » l’art de « bien boire », selon les « repères de consommation » devenus des normes.

Cet objectif, qui voit la Réduction des risques réduite à la « Réduction des consommations », présenté comme une alternative au bénéfice des personnes, s’avère être pour beaucoup inatteignable, parce que « haut-seuil » et imposant aux personnes de faire le deuil des fonctions et bénéfices que seul un certain niveau de consommation peut garantir.

Modus Bibendi revendique l’héritage d’une Réduction des risques faite de combats, d’engagements et de luttes contre toutes formes de stigmatisation, de discrimination et d’injonction aux soins qui restent la règle dans une société ou la consommation d’alcool n’est promue et survalorisée qu’à condition de respecter la norme d’un certain « bien boire » défini par un ordre dominant qui exclura les jeunes, les femmes, les pauvres, les étrangers, les fous et les « malades », bref toutes celles et tous ceux qui ne savent pas boire selon ces règles hypocrites qui font le jeu des puissances alcoolières.

La première des réductions des risques, c’est d’abord de garantir à toute personne le plein exercice de ses droits : celui de vivre et consommer selon ses choix y compris si cela nuit à sa propre santé ; ses droits à être soignée, à travailler, à être mise à l’abri, sans contrainte de se priver de ses pratiques, dès lors que celles-ci ne portent atteinte qu’à elle-même.

C’est pourquoi Modus Bibendi entend lutter contre toutes les atteintes à ce principe : Arrêtés municipaux ou préfectoraux interdisant toute consommation à la rue qui visent les plus exclus[ Voire communiqué de presse en annexe], règlement de structures d’accueil, d’aide et de soins qui interdisent la consommation, sevrages forcés en hospitalisations sans demande expresse de la personne, mais aussi obligations d’abstinence imposées par la famille, l’entourage, l’environnement social ou la justice…

En affirmant cela, nous ne nous opposons pas au projet abstinentiel pas plus que nous ne faisons l’apologie de la consommation, nous revendiquons pour toutes et tous le respect et le soutien de leur autonomie, c’est-à-dire leur pouvoir à décider pour eux-mêmes.

Deuxième principe de la RDR : il n’y a pas de Réduction des Risques sans contre-pouvoir aux discours dominants, qu’ils soient portés par la norme sociale, les intérêts politiques et économiques ou la doxa bio-médicale :

Ainsi à Modus, nous considérons que l’usage d’alcool ou de toute autre substance, parce que c’est une histoire de vie, est une chose bien trop sérieuse pour être laissée entre les seules mains des soignants, de leur prisme sanitaire et de leur piètre bagage universitaire pour comprendre les subtilités sociales, politiques et individuelles au cœur des usages  : c’est pourquoi notre collectif regroupe des personnes de tous horizons, soignants et non soignants, usage-r-es ou non qui ont toutes et tous une histoire singulière avec l’alcool, et c’est aussi pourquoi nous œuvrons pour l’émergence d’une parole collective d’auto-support, selon le principe du « Rien sur nous sans nous » dans ce champ ou l’on entend que les associations d’anciens buveurs et/ou les patients experts faire l’apologie de l’abstinence ou des soignants présentés en « sauveurs » !

Troisième principe hélas bien souvent oublié par une RDR institutionnalisée, « médico-socialisée » et soumise aux critères d’efficacité définis par les autorités de santé : Il n’y a pas de RDR sans plaidoyer, c’est-à-dire sans discours social, politique et philosophique visant à changer le paradigme selon lequel la drogue c’est mal, l’alcool c’est « deux verres par jour et pas tous les jours », et que l’argent public doit servir à guérir alcooliques et toxicomanes et non à les encourager.

Cette action de plaidoyer, cœur de notre action, est garantie par notre indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et des autorités de santé, par l’engagement bénévole de nos membres et par l’autonomie vis-à-vis des opérateurs de terrain, quels qu’ils soient.

Elle se déploie d’un côté par la dénonciation des pratiques maltraitantes, des discours et actes « toxicophobes » ou « alcoolophobes », mais aussi par l’engagement du centre-ressources de Modus Bibendi qui propose des supports d’information et de conseils à destination de tout intervenant[ Guide pratique de la RDR Alcool en Médecine Générale, Kit accueillir et accompagner les consommations en hébergement, Affiche en annexe… ] ou personne concernée ainsi que des formations/accompagnement sur la durée de toute structure du sanitaire, du médico-social et du social sous la seule réserve que les valeurs et principes énoncés par la charte soient partagés et se concrétisent dans les pratiques.

Modus Bibendi c’est donc tout ça, porté par des personnes d’horizons et de parcours différents, aux histoires riches et singulières, ou chacun est légitime à apporter son expertise, ses idées et ses projets, avec le souhait de débattre, d’enrichir et faire progresser une certaine idée de la RDR !


Les membres de Modus Bibendi.

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