Lettre militante

Je m’appelle Béatrice Stambul, je suis psychiatre, présidente du Bus 31/32, présidente d’ASUD, militante de la Réduction Des Risques depuis 1994.
Si je suis connue dans le milieu, c’est sans doute pour ce que j’ai fait, mais aussi parce que je suis médecin et que les tutelles trouvent probablement rassurant que la Réduction Des Risques ne soit pas que l’affaire des usagers.
On me pense plus modérée, plus raisonnable. Quand j’ai commencé le Bus à Marseille en 1994, que j’allais dans les rues, dans les cités, que je distribuais du matériel, mes collègues disaient que j’allais m’encanailler dans le caniveau, que j’étais hors la loi (je disais non, je suis avant la loi). On a gagné, on a arrêté en France l’épidémie de SIDA chez les usagers de drogues à la fin du XXème siècle, et peu à peu tout le monde s’est proclamé Réduction Des Risques. La loi de ce pays a adopté la RDR comme politique officielle, et de voyous nous sommes devenus acteurs institutionnels.
Je rencontre des gens qui nous ont attaqués, contredits et qui aujourd’hui ont « inventé » la RDR, alors qu’ils ne savent même pas de quel côté on tient une seringue. J’assiste, amusée, à des colloques où des professionnels nous expliquent la RDR comme une technique annexe à l’addictologie, un dispositif accessoire qui ne remet pas en cause la finalité ultime qui est l’abstinence. J’entends des spécialistes motivés à l’aller vers, la proximité, mais qui ne voient pas l’intérêt du rôle des pairs, ni la plus value de les inclure dans l’éducation ou l’accompagnement des usagers.
La politique de RDR devient souvent un fourre tout récupéré par les spécialistes du sanitaire et du social. Les traitements de substitution sont fréquemment prescrits et délivrés dans des conditions contraignantes, sous condition, tenant les usagers sous emprise, à l’issue d’inclusions longues et peu respectueuses des besoins et des souhaits de ceux pour lesquels ces médicaments sont une nécessité.
Plus que jamais, il est nécessaire de promouvoir et de pratiquer la RDR dans ce qu’elle est fondamentalement : à la croisée de la Santé Publique et des droits humains, une politique humaniste, pragmatique, sans jugement ni stigmatisation, qui met l’usager au centre du dispositif en le rendant acteur de sa propre santé. Allier le savoir des professionnels de diplôme et l’expertise des personnes concernées, construire des outils sans cesse innovants qui suivent les tendances innovantes, les nouvelles
pratiques, combattre les discriminations et changer les lois qui criminalisent et excluent ceux qui consomment.
Si nous pouvons nous réjouir des avancées que nous avons suscitées, le combat pour une vraie citoyenneté des usagers de substances doit continuer.


Marseille. Avril 2018

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