Entretien avec Nicolas de l’équipe MARSS*

Les directives anticipées sont un document, en constante évolution, rédigé par anticipation d’une crise (où notre discernement et notre capacité à décider sont souvent questionnés). Cet outil permettrait à toute personne d’exprimer à l’avance ses volontés concernant ses futures prises en charge. Elles permettent ainsi d’appliquer ses droits, de s’impliquer, d’améliorer sa prise en charge et de mieux communiquer avec les intervenants médicaux et paramédicaux (pompiers, SAMU, médecins, infirmiers, psychiatres, …). Actuellement, un programme de recherche nationale, affilié à l’ODDU, s’effectue à Paris, Lyon et Marseille afin de montrer l’intérêt d’un tel outil.
Vous trouverez un document type à remplir sur le site de SaNg d’EnCRe.
J : Donc tu vas nous parler des directives anticipées, c’est un dispositif très important, tu peux nous expliquer comment une personne peut prendre la main sur son traitement, sur son parcours de santé, et en quoi c’est important dans la manière de rééquilibrer le lien entre le médecin et la personne soignée ?
N : Je pense que l’entrée principale dans les directives anticipées c’est le droit. A la fois y a les droits fondamentaux, c’est-à-dire le choix du lieu d’hospitalisation, le choix du médecin, le choix du traitement et cætera, c’est des choses qui en fait sont dans la Constitution, dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme… Et surtout dans la psychiatrie, le droit à la santé c’était au choix du médecin, au choix du psychiatre alors qu’en fait c’est le droit de la personne elle-même de décider de ce qu’elle veut ou pas : la personne a le droit de dire « je ne veux pas prendre ce médicament même si ma santé empire ou si derrière il y a autre chose ». Si pour elle ça prend sens à un moment donné d’aller mal et après d’accéder à ce point-là pour aller mieux derrière, en fait en soi c’est son droit, elle est parfaitement en droit de faire ça. Bon, après, il y a le truc de dire personne en danger = mesures de contrainte, parce qu’il y a la contrainte quand on enlève le droit de décider, donc du consentement. Parce qu’il y a le consentement et il y a la capacité juridique, c’est deux choses différentes encore, mais au final c’est deux qui ne font qu’un. Bon après il y a eu une interprétation un peu abusive de ça en disant « ben enfin les personnes qui vont mal ne peuvent pas décider » ou qui décompensent, ou qui ont des consommations, toute personne déclarée inapte au niveau social.
J : Donc concrètement la directive anticipée ça permet à une personne si elle le souhaite, quand elle le souhaite, d’aller à la rencontre d’un hôpital ou d’un service hospitalier et de dire à ce moment-là « je souhaiterais être pris en charge et ce qui me convient c’est ça » ?
N : Et puis surtout dans la rédaction des directives, car tu peux que les remplir quand t’es en état, quelque part, de conscience. Quand toi, de ton point de vue tu te sens bien.
(…) Et c’est important à l’écrit parce que, comme c’est écrit là, d’un point de vue légal, l’outil il est nommé, signé, daté, donc juridiquement il est valable.
J : D’accord, ça peut être une feuille libre.
N : Ça peut être une feuille libre, ça peut être comme on va à la mairie quoi, une attestation.
S : Et si par exemple elle est datée de y a des mois ?
N : Le mieux c’est de le faire au plus proche mais après si elle a pas été déchirée ni mise en contradiction par rapport à d’autres choses, elle est toujours valable, comme un contrat, un bail, comme n’importe quoi en fait, comme un papier juridiquement valable. En fait c’est préventif. Y a une tendance à l’heure actuelle, c’est de dire : « si une personne est malade, elle est malade toute sa vie, elle est pas consciente de ce qu’elle fait, de ce qu’elle fait pas » d’où tutelle et curatelle. Sauf qu’à un moment donné je suis désolé, moi je suis concerné par rapport à ça, tu n’es pas schizo ou bipolaire 24h/24. Tu vois il y a un moment tu te sens bien, dans un bien-être, où t’arrives à avoir un consentement éclairé, où t’arrives à faire des choses comme tout le monde. A un moment donné, la directive anticipée c’est de dire, au niveau préventif que t’es capable de décider pour toi-même, donc au niveau de tes médicaments, c’est toi qui te connais, donc t’es expert par rapport à toi-même.
(…) Y a que toi qui te connais quoi, et combien on voit de ratés, et moi j’en ai fait l’expérience, au niveau des médicaments, quand t’essaies dix médicaments et que ça marche pas, tu prends du poids, quand t’arrives plus à avoir une érection, quand t’arrives plus à te réveiller le matin, quand t’as la bave, quand t’as ci, quand t’as ça, qu’est-ce que c’est ça, enfin tu vois… bon après on te dit « non mais c’est pour ton bien à un moment donné on va trouver », bon je suis chanceux j’ai trouvé maintenant mais ça a pris cinq ans.
J : Et théoriquement donc toute personne peut faire cette directive anticipée, y compris une personne sous tutelle ou je ne sais quoi ?
N : Alors les personnes sous tutelle ou curatelle elles ont les mêmes droits. C’est-à-dire si elle se fait hospitaliser, la personne sous tutelle ou curatelle n’est pas obligée de signaler à la tutelle qu’elle est hospitalisée. Seulement y a un hic : c’est que pour fournir la mutuelle faut prévenir la Sécu et ça passe par la tutelle ou curatelle mais à la base la personne n’est pas obligée de le dire, comme à la famille par exemple, dans la loi ça dit que toute personne sous contrainte est obligée de contacter sa famille, un proche, c’est dans la loi. Forcément des fois t’as pas envie que ce soit ton père, ta mère, ta femme ou, tu vois, qui soit au courant que tu te fasses hospitaliser. Dans mes directives, je veux que ce soit telle personne qui soit contactée, celle-là non, et cætera et cætera… c’est la différence entre la personne de « confiance » (qui a un droit de regard médical et qui peut être toute personne de ton souhait) et la personne « à prévenir » (souvent définie par défaut, donc la famille).
J : Ok donc en fait quand tu te connais, t’arrives sur un trajet, un chemin de parcours à te dire « tiens là j’ai complètement pété un câble, mais si je pète un câble, ça ça me remet en place ! »
N : C’est ça ! C’est exactement pareil que le nombre de cafés qu’il te faut par jour, le nombre de fois que tu dois aller aux chiottes pour être bien quoi ! Si t’y vas pas autant ou si t’en prends pas autant ben c’est pareil pour les médocs, si tu prends pas cette dose-là, à ce moment-là, peut-être dans un endroit précis, c’est parce que c’est plus complexe que ça aussi !
(…) Et c’est là que l’outil est hyper important parce que déjà d’y penser à ce travail-là, d’y penser avant, à un moment donné ouais j’ai le droit de choisir mon médecin, mon lieu de soin. Vous avez vu la sectorisation, bon après c’est que sur Marseille, tu vois on a parlé de Mulhouse pour les mecs dans la rue, pour eux c’est par ordre alphabétique, c’est-à-dire pour A ils vont dans tel hôpital, B ils vont là.
S : Oui ! Et ici c’est par date de naissance.
N : C’est ça ! Alors qu’à Marseille c’est par date de naissance ouais. T’imagines le mec, là où il fait la manche, il a son réseau social à la Capelette, il va être hospitalisé à Edouard Toulouse !
(…) C’est inadéquat. Alors avec les directives ça permet de décider du lieu de soins. Parce que toi quand t’es seul et que tu décompenses à La Plaine, que t’es en mode machin et tout, hyper agressif et que les pompiers en fait ils s’en battent les couilles de ta parole… sauf que quand t’as un collègue à côté, quand tu vois que tu peux contacter des personnes de confiance, quand t’as 5 personnes qui disent « non mais il faut qu’il aille là » ou que même avant tu décides du lieu où tu veux être hospitalisé, qu’on dise « appelez telles personnes, elles sont au courant »…
(…) Moi à la base je dépends de Sainte-Marguerite mais maintenant je me fais hospitaliser à Edouard-Toulouse, parce qu’à un moment donné, et maintenant même, j’ai réussi à avoir un papier comme quoi quand je me fais hospitaliser je vais directement là-bas dans ce service, sans passer par les urgences.
J : Donc presque ce qui serait intéressant c’est qu’on reprenne quels sont les termes importants à mettre sur la directive y a peut-être sûrement le nom d’un médecin, le nom d’une personne proche, le traitement, la durée du traitement, la dose du traitement, … autre chose ?
N : En fait c’est en différentes étapes, c’est qu’est-ce qui définit ton bien-être par rapport à ta personne, pas par rapport à un point de vue social, ça ça n’a absolument rien à voir. Après t’as une autre étape c’est plutôt les signes avant-coureurs, c’est-à-dire qu’est ce qui te définit quand tu sens que ça va mal, quand tu sens que tu vas être en danger ou que y a une petite bascule, et il y a les signaux d’alerte, c’est deux choses différentes : repérer les événements extérieurs, je sais pas une date de décès, une odeur, un lieu extérieur, c’est des signaux d’alerte qui vont te déclencher comment tu réagis proprement à ça. Et le but c’est de construire ces directives anticipées où t’as notamment les signes avant-coureurs. Donc le signe avant-coureur 1, admettons c’est « entendre des voix », les choses qui m’aident, ça peut être juste « parler » parce qu’en général c’est contention ou piqûre. Donc du coup t’as ça, ce qui m’aide / ce qui m’aide pas, « je souhaite prendre un autre traitement » oui ou non, et les signes de fin de crise parce que des fois t’as des crises ça dure une heure ou deux et après ça redescend, sauf que les gars ils te voient « oui mais prenez ça quand même » mais t’es juste défoncé quoi, t’es juste fatigué, t’as envie de dormir et prendre un cacheton en plus qui va te faire… bon voilà quoi, plein de trucs comme ça. C’est que du droit hein, tout est dans le droit, c’est pas inventé.
S : Et imaginons tu n’as pas fait des préconisations avec tes directives anticipées et que tu arrives en HL ou forcée, est-ce que tu as quand même le droit de regard sur ton traitement, sur ce qui va t’être administré.
N : Oui, alors d’un point de vue légal oui, après dans la pratique non !
S : Et oui… Donc là-dessus y a quelque chose à faire même si t’as pas fait ta feuille de direction anticipée ?
N : Tu peux sauf que la plupart du temps ce sera pas pris en compte, ce sera vu comme un énervement, vu comme un délire, c’est vu comme un symptôme, un refus, un déni, enfin tu vois quoi et t’as pas la place à ça. Des fois t’es pas d’accord mais on te dit « t’es dans le déni du truc » alors que je sais pas combien de fois j’ai dit « me donnez pas ce médicament j’ai l’estomac en vrac », clairement tu vois, mais ils me disent « non mais l’estomac ça va ! ». Mais en plus, le pire, c’est que ça marche quand tu dis « attendez si vous faites pas ça, je vais vous mettre au cul un truc un machin » d’un coup ça réagit quoi. Parce qu’en fait c’est des lieux de non-droit, ils sont habitués, les mecs ils s’en foutent c’est le vrai isolement, t’es vraiment seul face à une situation et c’est là où tu as vraiment besoin d’aide, de soutien, à un moment donné ne pas être seul c’est ça aussi. Et prévoir tes trucs en disant « moi je veux être là, par tel médecin » y a déjà un truc qui est fait, qui est élaboré, ça peut aussi rassurer l’équipe. Peut-être que sur l’instant tu vas être pas bien, mais ton consentement, t’étais en état de le faire et tu l’as signé à ce moment-là.
S : Et pour être valable est-ce qu’il a besoin d’être signé par un médecin, un psychiatre ou non ?
N : Non tu le signes c’est tout ! Enfin je sais pas quand tu fais une attestation tu signes c’est pareil. Après franchement actuellement ça a plus de valeur, ça peut avoir plus de pouvoir quand tu le fais avec ton psychiatre, c’est triste à dire.
S : Ok est-ce que tu veux revenir sur des aspects ?
N : Peut-être les trucs phares ? Sur la prévention des directives anticipées, c’est pas : tu fais une crise après tu réfléchis à ce que tu fais… C’est : prévois avant, quand tu te sens bien, maintenant, qu’est-ce qui fait que t’es pas à l’hôpital là…
(…) Tu sais un rétablissement, c’est pas soigner, moi je souhaite pas être soigné, moi si je perds mes voix qu’est-ce qui se passe ?… je sais pas, je préfère les garder, je suis bien avec, elles me font faire plein de choses…
Entretien et montage réalisés par Levy Joachim et Thill Susanne