L’histoire de l’analyse de drogues comme outil de RdR n’est pas un long fleuve tranquille. Développé fin des années 1990 dans les milieux alternatifs techno, l’analyse de drogues vise d’abord à répondre aux demandes des usagers afin d’éviter les arnaques (particulièrement la vente de médicaments à la place d’ecstasy). Les assos, notamment Médecins du Monde, Techno+ et Le Tipi vont alors mettre à disposition des usagers de drogues des tests colorimétriques, notamment le test de marquis aussi appelé Testing. Ces tests ont l’avantage d’être peu coûteux et facilement utilisables. Un tout petit peu de produit, une goutte de réactif et l’analyse se fait en observant le changement de couleur, ex. Si une personne vient faire analyser un ecstasy : un changement de couleur violet foncé indique la présence de MDMA, par contre si le mélange vire au vert, c’est que le produit contient du 2CB.
A cette même époque, est également créé le dispositif SINTES (Système National d’Identification des Toxiques Et Substances) de l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies). Depuis 1999, ce dispositif permet de faire analyser des produits, par des techniques de pointe en laboratoire, lorsque l’on rencontre l’une des situations suivantes : quand on constate des effets indésirables ou inhabituels, et lors de la prise d’un produit présentant un caractère nouveau ou rare « cela peut concerner un nouveau produit de synthèse (NPS) mais également un produit dit « classique », rarement observé dans la région de collecte ou présenté sous une nouvelle forme ou encore une appellation inédite. »[ Plus d’info sur le dispositif SINTES : https://www.ofdt.fr ]
Dès 1997, un rapport de l’Inserm sur l’ecstasy alerte sur le « faux sentiment de sécurité » du testing. D’abord, le testing n’est pas suffisamment « spécifique » : en chimie analytique ça veut dire que plusieurs produits peuvent donner la même réaction chimique et fausser l’analyse. L’information rendue peut donc être erronée. Le risque est d’analyser un produit mais de ne pas identifier une molécule présente, potentiellement dangereuse.
Sensibilité : la sensibilité est la capacité de la technique d’analyse à identifier le ou les produits contenus dans l’échantillon (proportion de vrais positifs). Une technique est donc dite « sensible » lorsqu’elle rend peu de résultats faux négatifs.
Spécificité : la spécificité est la capacité de la technique d’analyse à rendre un résultat négatif lorsque le ou les produits ne sont pas présents dans l’échantillon (proportion de vrais négatifs). Une technique est donc dite « spécifique » lorsqu’elle rend peu de résultats faux positifs.
Le rapport indique également que le testing d’ecstasy, en axant l’intervention sur la dangerosité des produits de coupe, conduirait à une désinformation quant à la toxicité de la MDMA en tant que telle. Cet argument renvoie en filigrane à l’accusation dont pâtit bien souvent la logique de RdR de banaliser les usages de drogues. Les défenseurs de l’analyse de drogues y répondent en expliquant que cet outil de RdR, au contraire de produire de la désinformation, favorise la rencontre et l’échange de savoirs autour des produits.
Les intervenant.e.s en festif vont continuer de tester des produits jusqu’en 2005 pour répondre à l’énorme demande qui émane du terrain. Les témoignages de l’époque racontent les longues files d’attente, qui se constituaient parfois même avant l’arrivée des équipes d’intervention.
Alors que la RdR entre dans la loi de Santé publique en 2004, sécurisant ainsi les intervenant.e.s, dans le même temps elle interdit le testing, ce qui sonne pour beaucoup d’observateurs comme une contradiction flagrante de l’Etat face aux drogues, mettant constamment en tension logique répressive et logique préventive (Lafargue de Grangeneuve, 2009). Cette interdiction qui s’inscrit durant la période d’institutionnalisation de la RdR met en relief l’incompréhension politique de la perspective communautaire qui vise une promotion de la santé en prenant en compte les expériences et les savoirs des personnes concernées, c’est-à-dire celles qui consomment.
Pour faire face à l’interdiction, les intervenant.e.s communautaires sollicitent les chimistes qui comptent parmi leurs membres pour développer la Chromatographie sur Couche Mince (CCM) en festif. La CCM est une technique classique de chimie analytique. Jusqu’à aujourd’hui, la technique CCM pour répondre à des enjeux de RdR, s’est développé dans le cadre de la mission XBT de Médecins du Monde, aujourd’hui elle se développe via la Fédération Addiction.
Cette technique est plus spécifique que le testing car il s’agit d’une technique séparative, c’est-à-dire que son principe repose sur la séparation des différentes substances actives présentes dans le produit. Une intervenante nous explique :
« S’il y a trois produits, il y a trois taches. Donc là, tu dis « ok, ça c’est de la MD » vu que ça correspond au témoin, « ça, c’est ma tache de chloroquine », ça correspond au témoin, et ça c’est une autre tache, donc si je n’ai pas mis le témoin, par exemple si elle est bleue, ça va me faire penser à de la caféine, donc je vais refaire passer le même échantillon sur une autre plaque avec un témoin caféine. »
La CCM est particulièrement utile pour identifier les produits de coupe, tel que le levamisole (vermifuge utilisé en médecine vétérinaire) présent dans plus de 60% des échantillons de cocaïne analysés. Lorsque l’analyse par CCM détecte un produit sans avoir le témoin correspondant pour l’identifier, le produit est envoyé à SINTES, pour la surveillance des nouveaux produits en circulation. Elle permet ainsi d’identifier des nouveaux produits de synthèse (NPS) parfois revendus à la place d’autres produits (ex. des NBOME vendus pour du LSD et des 2CB et 3MMC vendus comme ecstasies).
Pendant que l’analyse de drogues se développait en France, plusieurs pays d’Europe ont expérimenté différents outils d’analyse. Le réseau transeuropéen d’information sur les drogues (TEDI) s’est constitué en 2007 afin de réaliser un état des lieux de l’analyse en Europe et de fédérer un ensemble d’acteur.trice.s pour favoriser un partage de connaissances [http://www.safernightlife.org ]. Les rapports de TEDI ont mis en lumière les grands principes qui guident l’analyse de drogues ainsi que le développement de nouvelles techniques, qui ont inspiré le développement de l’analyse de drogues en France.
Majoritairement utilisées en Europe, le testing et la CCM (déjà évoqués) sont des techniques dites « qualitatives ». En Autriche et en Suisse, l’utilisation d’une technique « quantitative », s’est développée depuis la fin des années 1990 : il s’agit de l’HPLC. Des informations quantitatives sur les produits visent des objectifs de RdR dans un contexte où depuis une dizaine d’années, les ecstasies atteignent des dosages très élevés. Par exemple, une HPLC va détecter la quantité de MDMA présente dans un comprimé d’ecstasy ou la concentration de cocaïne et de lévamisol. Les résultats des analyses des HPLC suisses et autrichiennes alimentent la base de données de l’application Knowdrugs qui diffuse des alertes sur les produits en cas de concentrations très élevées ou de compositions différentes de celles attendues. Plus récemment arrivée en France, notamment à Marseille, au Bus 31/32, l’HPLC est en cours de rodage pour être proposée aux consommateur.trice.s français.e.s.
Technique qualitative : en chimie, l’analyse qualitative est l’ensemble des méthodes d’analyses chimiques qui permettent d’identifier les substances chimiques présentes dans un échantillon (ex. les réactifs colorimétriques, la CCM, la spectrométrie infrarouge).
Technique quantitative : en chimie, l’analyse quantitative est l’ensemble des méthodes d’analyses chimiques qui permettent de déterminer la concentration des différentes substances recherchées (ex. les techniques de pointe utilisées en laboratoire : l’HPLC et la technique dite « de référence », la GC-MS : chromatographie en phase gazeuse – Spectrométrie de masse).
Plus récemment, une nouvelle technique est apparue dans le monde de la RdR : la technique de spectrométrie infrarouge. Utilisée dans différents pays, notamment en Angleterre, cette technique s’est développée dans plusieurs régions françaises. Concrètement, exposée à un laser infrarouge, la substance va générer un spectre qu’un logiciel analyse ensuite afin de détecter la ou les substances présentes dans le produit.
« Le logiciel ne fournit pas un résultat brut : il associe le résultat (ou les résultats en cas de doute) avec un score sur 1000, par exemple 856/1000 qui correspond à une estimation de la probabilité que le résultat soit effectivement le bon. Cela permet de savoir si le résultat est ambigu ou non. »
Facilement transportable et rapide, mais non séparative, cette technique est encore dans sa phase d’expérimentation et nous n’en sommes qu’au début de son développement.
Gageons que l’annulation des grands festivals cet été n’aura pas gâché le rebond d’intérêt pour l’analyse de drogues observé ces dernières années en France, notamment avec l’entrée de l’analyse comme outil de RdR dans la loi de Santé publique en 2016. Espérons également que l’énorme travail réalisé par les assos communautaires pour sensibiliser les personnes et former les intervenants aux techniques, aura un impact positif sur l’évolution de ces outils dans le paysage de la RdR en festif, en France.
Marie Dos-Santos, ingénieure de recherche, Sesstim.