En Europe, des pays encore réfractaires.
Lors des ateliers participatifs portés par Nouvelle Aube concernant cette
revue, réalisés par des intervenants pairs, artistes, travailleurs sociaux,
chercheurs, une participante irlandaise aux ateliers « Partage d’une
journée gravée », Erris, a voulu attirer ton attention cher lecteur sur un
mouvement pour le choix à l’avortement en Irlande « to REPEAL the
8th » (coalition pour abroger le huitième amendement à la Constitution
irlandaise, qui proclame que la vie du fœtus est aussi importante que
celle de sa mère et interdit de fait l’avortement).
En Irlande du nord l’avortement est limité aux femmes rencontrant des
complications qui mettent en danger leur vie. « En octobre 2017, cette
situation a conduit le gouvernement britannique à promulguer une loi permettant aux Nord-Irlandaises de pratiquer gratuitement l’IVG en An-
gleterre. Un remboursement des frais de voyage est également prévu pour les personnes à faible revenu. » (touteleurope.eu).

A son arrivée à la tête du gouvernement irlandais Leo Varadkar déclarait qu’il s’agirait «d’avancer sur une législation qui permettra la tenue d’un référendum sur le huitième amendement en 2018». » (Arte-tv).
Les partisans de l’I.V.G. attendent aujourd’hui que les paroles soient suivies d’actes, c’est-à-dire que se tienne ce référendum d’ici juin 2018. Ces militants tentent de mobiliser un maximum d’Irlandais pour qu’ils
aillent manifester leur soutien jusque dans les urnes.
En tête des pays réfractaires à l’avortement en Europe, Malte qui l’interdit purement et simplement. Dans d’autres pays l’avortement n’est autorisé que dans certaines situations, c’est le cas en Pologne où une pression des conservateurs catholiques est exercée pour empêcher d’être votée une loi en faveur du droit à l’avortement sans condition. D’ailleurs le week-end du 13 janvier 2018 les défenseurs du droit à l’avortement étaient dans les rues de Varsovie pour dénoncer la lâcheté de 39 élus libéraux quant à leur absence lors de la présentation du projet de libéralisation. Le projet a alors été rejeté en première lecture à 9 voix près, ce qui est un échec partiel car l’écart est faible. Les pro-avortement tels « Sauvons les femmes », Federa, continuent de militer, espérant faire évoluer les mentalités et les lois. Les anti-avortement comptent de leur côté sur l’avancée d’un texte abolissant la possibilité d’avorter en cas de malformation du fœtus qui est à l’étude depuis janvier 2018.
« Or, il s’agirait du motif invoqué pour 96% des avortements légaux en Pologne, d’après le comité « Stop Avortement ». » (touteleurope.eu).
A Chypre où l’avortement n’est permis que si la mère rencontre des problèmes médicaux, s’il y a viol, ou encore quand sont détectées des malformations du fœtus, la présence de la religion est un facteur important de pression pour empêcher l’ensemble des femmes d’avoir le droit de choisir l’I.V.G.
Là où 95% de la population se déclare orthodoxe, difficile pour les femmes de faire évoluer leurs droits.
La vie insulaire rend d’ailleurs encore plus difficile le changement dans des sociétés encore très marquées par une approche patriarcale et où « la pilule du lendemain n’existe pas et presque aucune jeune femme n’a accès à la pilule classique.
Alors pour celles qui viennent de classes plus pauvres, la question
ne se pose pas vraiment ». (Evie Adréou, journaliste)
Dans tous les pays dont la loi interdit ou limite l’I.V.G. sont pratiqués des
avortements illégaux qui font prendre des risques sanitaires et pénaux
aux femmes qui peuvent se payer ses interventions.
Quelles que soient les raisons qui mènent ses femmes à avorter elles
sont alors soumises au silence voire aux critiques et reproches de ceux à
qui elles se confient, ne pouvant partager les difficultés et les souffrances
qu’elles traversent dans cette situation.
En France, depuis 1975, grâce à la loi Veil, portée par la Ministre de la Santé Simone Veil, les femmes peuvent pratiquer l’I.V.G légalement. Ce n’est pas parce que le droit français est aujourd’hui du côté du choix autonome des femmes qu’il n’y a plus rien à partager sur le sujet. La loi est une chose, pour les tabous, besoins d’expression, d’échanges, ce ne sera jamais fini. Les évolutions d’un temps peuvent toujours être remises en question si des sujets comme l’IVG semblent « réglés » dès lors qu’une loi passe. La loi résout un problème majeur : le droit, mais elle doit être accompagnée par les femmes, leurs paroles, leurs retours et démarches pour partager aussi ce en quoi ce droit est essentiel. Pour beaucoup de femmes l’avortement, si assumé soit-il, rime avec tensions psychologiques, stress physiques et bien d’autres problématiques qui peuvent en découler. Ici comme ailleurs chaque avortement est différent, chaque femme le vit avec sa propre sensibilité.
Ce droit à l’avortement est un pas, à chacune de pouvoir le défendre pour qu’il dure.

Parcours d’avortée à Marseille
Faire que nos systèmes de santé évoluent plutôt que ne se dégradent est l’affaire de tous. Quand on est patient on entend les personnels soignants parler de leur travail à l’hôpital, des horaires, de la pression car le manque de personnel est chronique, tout ça pour des salaires souvent modiques !
Les créations en ateliers nous poussent à développer et partager des recherches, des données actuelles, des récits expérientiels. C’est dans cette dynamique que j’ai écrit le texte ci-après.
Mes parcours d’avortée furent un choix que j’assume pleinement aujourd’hui, sans regrets ni joie car pour le coup c’est un acte médical, qui touche à nos intimes, physiques et psychiques, si positif soit le fait de ne pas vivre une grossesse non désirée.
A Marseille en 2006, après avoir eu confirmation que j’étais « très enceinte » par le monsieur du labo, puis avoir entendu « que j’avais l’âge de garder cet enfant » par le gynéco en-dessous du labo, que m’avait conseillé le monsieur du labo, je prenais rendez-vous un matin à l’hôpital de la Conception, nom qui résonne de manière un brin contradictoire quand on y va pour une I.V.G.
Rassemblées dans une chambre, genre salle d’attente, avec deux autres femmes là pour les mêmes raisons, l’une très jeune, l’autre beaucoup plus âgée. Un vrai panel, en plus on avait aussi les teints différents, on aurait fait une belle brochette pour une pub Benetton, avec nos tenues en papier bleu d’hosto.
Moche devant, fesses à l’air derrière ! C’est là à moitié à poil, dans cette intimité physique et psychique, qu’on se demande quelle sont leurs vies à elles ? On aura maintenant en commun ce jour-là. Chacune ayant droit aux comprimés pour « déclencher » le travail. Puis la femme en blouse revient chercher la plus jeune. C’est son tour. Toujours une chance de passer en premier, d’éviter les temps morts, y’a que ça de vrai à l’hôpital. Se trouver une activité mentale, physique ou n’importe pour éviter de se focaliser sur ce pourquoi on est là. Une demi-heure plus tard une femme en blouse blanche vient me dire « Vé pour vous ça va pas aller de le faire aujourd’hui, l’anesthésiste qui est là ce matin trouve qu’il y a un problème niveau coagulation, il est pas du même avis que celui qui avait dit ok vous comprenez ? Et il veut pas prendre de risques. Il va falloir revenir en hospitalisation avec anesthésie générale mademoiselle. Mais comme c’est le 1er mai ce sera la semaine prochaine… » Ne comprenant pas bien de quoi il retournait rapport à ma coagulation, à cette histoire de risques, quels risques ? je me concentrais sur l’essentiel pour moi, repartir avec le programme tout comme prévu : « Mais là j’ai eu les comprimés qui déclenchent déjà, vous êtes sûre on peut pas rester sur la décision de l’autre anesthésiste ?.. ! »
« Ah ça c’est sûr je crois que ça va pas être possible non pas être…
Vous connaissez la chanson ?
« Quelle chanson ? »
« Laissez tomber… Donc va falloir essayer de les rejeter…Les com-
primés…Vous pouvez essayer maintenant, Vé voilà les toilettes. »
« … Là vous voulez dire que je n’aurai pas d’IVG aujourd’hui…
Je vais rentrer chez moi comme ça ? »
« Commencez par essayer de vomir ces comprimés, rhabillez-vous
et on se voit au bureau. »
Une fois les comprimés pas rejetés car déjà loin, je me suis rhabillée, l’autre femme attendant son tour me regardant avec peine, à la fois pleine de compassion et contente de ne pas être à ma place.
Au bureau une secrétaire m’a alors tendu un feuillet avec la marche
à suivre pour mon come-back en hospitalisation.
Puis je suis partie et une fois dehors une grosse montée de stress a pris le dessus, mêlée à de la colère qu’on me laisse sans plus d’explications, sans avoir vu un médecin ni l’anesthésiste et ayant pris ces comprimés.
J’ai donc fait demi-tour, exigeant qu’on M’EXPLIQUE !
Je vous la fait courte : il n’y avait alors pas de réponse, juste des analyses à faire, qui elles-mêmes mèneraient à comprendre et suivre ce problème. Grâce à l’anesthésiste, que je remercie au final car il m’a permis d’identifier où il fallait creuser, j’ai pris les rdv avec des spécialistes. Je n’ai alors cessé d’enrichir mon vocabulaire…
Du facteur V, à Leiden, en passant par des anticoagulants circulant et autres lupus filants… Mon sang a été passé au crible ! Tels des archéologues ils ont cherché, mis des mots, expliqué au fil des mois.
Dans ces moments on se rend compte de la chance qu’on a d’être dans un pays où le système de santé permet d’être suivi sur quantité de maladies quels que soient nos moyens.
Pour avoir voyagé, je me rends compte qu’en France rien n’est parfait mais qu’on est très bien lotis niveau accès aux soins.
Mais bien avant d’avoir vu tous ces spécialistes j’étais retournée à la Conception pour mon IVG en hospitalisation. 3 jours. L’IVG s’était techniquement bien passée mais juste après le retour chez moi, j’ai perdu des quantités tellement flippantes de sang qu’on est retourné en urgence à l’hosto dans la nuit jusqu’à ce qu’au rdv de contrôle un jeune interne me dise que selon lui « il restait peut-être des bouts ! »
« Comment ça des bouts ? De fœtus ? » « Euhhhh…Parfois le curetage peut être incomplet ? » « Incomplet ? »
Là le médecin a fait son entrée puis regardé l’écho et m’a dit que tout allait bien, que tout était normal, que les pertes de sang subies après aussi, que ça dépendait des femmes et des fois ça ! Tout roulait alors… « suivante ! »…
Je m’étais donc fait à l’idée que mon corps allait encore un temps rejeter les restes de cet autre corps. Aussi je m’occupais de récupérer moralement.
Il y a un plus ou moins grand cap à surmonter après un avortement, selon qui on est, pourquoi, quand, comment on le fait. C’est pas parce que je suis une fervente partisane du droit à l’avortement pour toutes les femmes de l’univers que je vais vous dire que ça ne fait pas le yoyo émotionnel ce moment-là.
Me concernant, très vite je suis revenue à mon quotidien sans déprime ni trompette passé le chamboulement.
Un avortement ce n’est jamais agréable mais ça peut mieux se passer comme ça a été le cas à nouveau pour moi en 2014, donc presque 10 ans plus tard, à l’hôpital Européen cette fois. Déjà rien que le nom faisait plus envie pour une IVG ! L’hôpital Européen ça me parlait plus comme «voyage». Là ça n’a même pas pris une journée, c’était lumineux, les explications étaient claires, l’équipe bienveillante, même de la musique avant l’anesthésie… Certes cette équipe connaissait mon dossier concernant mes problèmes de coagulation donc pas de bug de départ, mais en tout c’était comme voir comment le traitement du patient pouvait évoluer en mieux… J’étais dans une toute petite chambre, plus petite qu’une cellule, mais seule, tranquille pour ce temps-là, c’était déjà un bon point.
Des sourires aussi… Je sais que les conditions du personnel soignant
sont vraiment difficiles à une multitude de niveaux mais je sais aussi que
d’un service à l’autre avec les mêmes moyens l’atmosphère change,
l’ambiance.
En bref quelque chose de très vite palpable, qui réside dans les
comportements humains de ceux qui nous soignent. De ces rapports
humains dans le temps d’hospitalisation découle notre ressenti en tant
que patient. Ressenti qui lui-même influe sur l’envie d’allers vers le soin
ou non à l’avenir.
Jihane El Meddeb