Interview, infirmière aux Baumettes

Depuis la loi de 1994, les soins prodigués en détention ne sont plus sous la tutelle de l’administration pénitentiaire mais sont transférés au Ministère de la Santé et plus spécifiquement au secteur hospitalier. L’Unité sanitaire (US) des Baumettes est rattachée à l’AP-HM : assistance publique des hôpitaux de Marseille. Cette loi vise une séparation distincte des fonctions de soins et de surveillance au sein de la prison et elle réaffirme un principe d’équivalence selon lequel les personnes détenues bénéficieraient de droits équivalents à n’importe quel autre citoyen, tel que le droit à la santé.

Pourtant, les missions thérapeutiques du personnel soignant se confrontent aux conditions pathogènes d’incarcération liées à l’insalubrité et à la surpopulation, avec un taux d’occupation de 115% dans les prisons françaises.

Sonia travaille depuis 2009 en tant qu’infirmière psy au SMPR (Service médico-psychologique régional) des Baumettes à Marseille. Elle défend son métier de soignante auprès des personnes détenues malgré le contexte d’hostilité, de détresse et de violence que peut représenter l’univers carcéral.

« Prendre le temps avec les patients… » 

J’aime mon métier d’infirmière, et me sens d’autant plus utile dans un milieu aussi hostile que celui de la prison. Tenter d’apporter au mieux un soutien psychique et une oreille attentive pour une population souvent en carences familiales, sociales.  Tous les jours, il faut sans cesse s’adapter, on ne sait jamais à l’avance à quoi une journée peut ressembler. Chaque individu a sa propre histoire, est unique, à part entière, avec des besoins, des nécessités, des problématiques, différentes d’une personne à l’autre.

C’est du cas par cas, la psychiatrie, et c’est du temps ! Même s’il est certain que nous sommes parfois tributaires du milieu carcéral dans lequel on évolue, le temps, c’est vraiment important. Si on ne prend pas le temps en psychiatrie, le temps de rencontrer l’autre, le temps d’écouter, on passe à côté. Même dans les silences ou dans une crise, parfois, il peut se dire un tas de choses.

Kwett

Comment rencontre-t-on le personnel médical en prison, lorsque l’on vient d’être incarcéré ?

Quand une personne arrive en prison, elle est reçue à l’UCSA (Unité de consultations et de soins ambulatoires) et rencontre un médecin généraliste et un ou une infirmière de l’UCSA.

Si nécessaire, ou à la demande du patient et du médecin, on l’oriente vers notre service SMPR (Service médico-psychologique régional) afin d’être reçu en première intention par le psychiatre dédié aux consultations arrivants.

L’UCSA et le SMPR sont deux unités distinctes mais complémentaires, à côté des bâtiments de la détention. Pour toute personne qui sera reçue, nous sommes soumis au secret médical. On reçoit les patients dans des salles de soins, bureaux médicaux, pour préserver leur parole et respecter le secret médical, à portes closes. Il n’y a pas de surveillant présent durant les consultations.

Si une personne incarcérée n’a pas été reçue par nos services dès le début, elle peut néanmoins en faire la demande, par courrier interne et/ou être orientée de différentes manières, par le biais du SPIP (Service d’insertion et de probation pénitentiaire), des surveillants / chefs de bâtiments, et de tous les soignants.

Lorsque la personne est passée à travers les mailles du filet, il est possible qu’elle nous écrive, pour nous dire qu’elle a besoin de voir quelqu’un. Parfois… malheureusement, il y a des courriers qui se perdent… mais on arrive toujours à rencontrer la personne.

Les infirmiers font des distributions de médicaments trois fois par semaine en détention, ce qui nous permet aussi de rencontrer les détenus. S’il y a des courriers qui ne nous sont pas parvenus, nous sommes en première ligne et on prend en note les signalements.

Si la personne est sous traitement psy, ou de substitution ou si elle n’a jamais été sous traitement de substitution mais qu’elle consomme à l’extérieur de la coke, de l’héroïne… ou toute autre substance, elle sera reçue par un médecin addictologue du CSAPA (Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie), de façon à mettre en place un protocole de substitution, avec des rendez-vous médicaux, infirmiers, sociaux, activités.

S’il y a une urgence, un médecin psychiatre d’astreinte reçoit la personne dans la journée, sinon elle sera vue par le médecin-psychiatre, référent de ce patient, ou par un infirmier en première intention.

En premier lieu, on fait l’anamnèse, comme on dit, on rencontre la personne, et on rentre en lien avec elle, pour savoir d’où elle vient, quel est son parcours, quels sont ses besoins, quelles sont ses habitudes à l’extérieur, au niveau familial, social, ses consommations et surtout on fait un état des lieux physique et psychique. On fait des bandelettes urinaires si nécessaire, pour s’assurer du ou des produits que la personne a l’habitude de prendre, pour ensuite adapter le traitement de substitution en relation avec la drogue qu’il ou elle a prise. Ensuite, il y a des entretiens réguliers, ou non, selon les demandes et les besoins du patient, c’est totalement individualisé, mais en tout cas il y a un suivi individualisé, ou non, selon les cas, avec les personnes qui le nécessitent.

Est-ce qu’il y a des troubles psy spécifiques à la prison ?

Spécifiques, non, il n’y a pas une maladie « carcérale », mais il arrive que certaines personnes développent ce qu’on appelle un « choc carcéral » lié à l’enfermement. Quand on enferme quelqu’un, on le prive de liberté, cela peut être vécu comme un traumatisme. Parfois il arrive que des personnes entrent sans avoir eu d’antécédents psy et développent une certaine fragilité psychique qui peut s’orienter vers des dépressions, des formes de repli sur soi, des menaces de passage à l’acte… Nous sommes très vigilants à cela, et accompagnons au mieux ces patients.

Avec l’enfermement tous les repères sociaux, physiques, psychiques, temporels, familiaux sont perturbés. Il est déjà arrivé que des personnes fassent une bouffée délirante, auquel cas on est assez vigilant, c’est parfois les surveillants qui peuvent nous interpeller lorsqu’une personne se met en danger, qu’elle n’agit plus du tout comme avant, par exemple. En général, on est informé très rapidement et on intervient au plus vite.

Lorsqu’une personne casse tout dans sa cellule, ne voit plus rien, ne distingue plus rien ni personne, on parle de crise « clastique ». Nous sommes alertés, soit quand il y a eu un conflit avec un surveillant, soit il y a eu un conflit avec un détenu, soit la personne est dans un état psychique tel, qu’elle ne maîtrise ni ne contrôle plus rien.

Quand il y a eu une altercation, une rixe, les surveillants enferment les détenus, la plupart du temps, au QD (Quartier disciplinaire), aussi appelé « mitard ». La personne nous est ensuite adressée ; deux médecins psychiatres la reçoivent, pour évaluer son état, comprendre ce qu’il s’est passé afin de l’aider au mieux à diminuer son angoisse ou sa colère. Il s’agit aussi parfois d’une rupture de traitement qu’il est nécessaire de réintroduire.

Interview de Sonia, réalisée par Marie Dos Santos

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