Depuis près de 40 ans, les hommes gays et bisexuels (autrement appelés « Hommes ayant des relations Sexuelles avec des Hommes – HSH) font face à une épidémie qui a bouleversé leurs modes de vie : le VIH. Ce sont aujourd’hui plusieurs générations de HSH qui ont appris à vivre avec le risque et avec la prévention. Quarante ans après l’émergence du sida, les HSH restent pourtant l’une des communautés les plus affectées par le virus.
Luttes
Ces dernières décennies n’ont pas été un long fleuve tranquille : il a fallu s’affirmer, lutter, mais aussi apprendre et grandir collectivement. Dans les années 1980, le VIH a frappé des communautés tout juste sorties de l’ombre : la dépénalisation de l’homosexualité en France date de 1982 ! Dans ce contexte, il a fallu s’organiser et résister aux injonctions moralistes, qui voyaient dans le sida une « punition » contre la libération sexuelle. C’est le temps des premières campagnes de prévention et de promotion de la capote, et des réseaux d’entraide pour les malades, souvent créés par les gays eux-mêmes. C’est aussi le temps de la colère contre l’inaction des pouvoirs publics, et la création d’Act Up à Paris (1989) ou à Marseille (1994). Les décès se multiplient et les communautés gaies sont particulièrement endeuillées.
Réduction des risques
Avec l’arrivée des trithérapies, les traitements efficaces contre le VIH, en 1996 la situation change : la mortalité baisse radicalement, le VIH devient gérable au quotidien et progressivement on parle de maladie chronique. Pour les HSH, d’autres enjeux émergent autour de la prévention. Le recours au préservatif recule, et les autorités de santé s’inquiètent d’une recrudescence des nouvelles infections dans ces communautés. Dans le milieu associatif sida, les débats sur le sujet font rage. Entre accusation « d’irresponsabilité » et volonté de renouveler les messages de prévention, la voie est étroite. A Marseille, AIDES expérimente dès 2001 une nouvelle approche, inspirée de l’usage de drogues : la réduction des risques sexuels.
Le constat est simple : si le recours au préservatif n’est pas possible (ou souhaité) pour certains gays, on peut leur proposer des stratégies alternatives ou complémentaires pour éviter l’infection par le VIH. On parle alors de retrait avant éjaculation, de dépistage des IST et déjà de charge virale. Cette approche n’est pas consensuelle dans le milieu gay, car elle est perçue par beaucoup comme une incitation au risque. A l’inverse, on va vite s’apercevoir qu’elle permet de renouer le contact avec les gays qui n’utilisent plus systématiquement la capote : ces derniers se sentaient exclus des discours de prévention classiques.
Médicalisation
D’une stratégie expérimentale au début des années 2000, la réduction des risques sexuels va progressivement s’imposer comme une approche incontournable. D’abord, parce qu’elle est validée par les recherches scientifiques : dès 2008, des médecins suisses établissent qu’avec une charge virale indétectable, le risque de transmission du VIH est quasi nul. Les intuitions des militants sont maintenant clairement établies par la science ! Ensuite, parce que d’autres outils sont développés, notamment la prophylaxie pré-exposition (PrEP), un traitement préventif qui vise à protéger des personnes séronégatives à risque.
En 2020, la palette des outils disponibles pour se protéger du VIH n’a jamais été aussi vaste en France : préservatif, dépistage régulier, traitements ! Ces avancées médicales et de santé publique sont réjouissantes, mais malheureusement insuffisantes si on veut casser la courbe de l’épidémie de VIH chez les HSH.
Santé sexuelle
En effet, les hommes gays font face à une diversité de risques, sanitaires, sociaux et psychosociaux, qui expliquent en grande partie le maintien d’un grand nombre de nouveaux cas de VIH. La persistance de l’homophobie (injures, violences), malgré les avancées légales comme le « mariage pour tous » en est un exemple. Les gays – jeunes et moins jeunes – vivent plus de détresse psychologique que les hétérosexuels ; leurs consommations de produits psychoactifs sont plus importantes, et parfois problématiques. Or, le système de santé demeure très hétéro-centré, peinant à prendre en charge ces spécificités.
Pour mieux répondre à ces défis de santé publique, les stratégies de prévention du VIH s’intègrent de plus en plus souvent dans des politiques de promotion de la santé sexuelle plus globales, qui prennent en considération cette diversité de risques. L’ouverture du SPOT Longchamp à Marseille en est une des illustrations. Il reste maintenant à « passer à l’échelle », pour être en mesure d’offrir des services de santé adéquats et respectueux des identités de chacun.
En près de quarante ans, la situation a beaucoup changé pour les HSH en France, qui sont passés de la clandestinité à la reconnaissance. Il reste beaucoup à faire, mais les acquis de cette histoire collective nous permettent d’envisager avec espoir les prochaines étapes.
Gabriel Girard, sociologue Inserm & SESSTIM