Il a fallu des siècles pour changer les lois, les traitements, les services et les politiques publiques afin d’établir l’auto-assistance moderne et le mouvement de défense des droits dans le domaine de la santé mentale tels que nous les appréhendons aujourd’hui.
I°) Rappels historiques et contexte
La circulaire de 1785 que l’on doit à Colombier [ Qui est alors inspecteur général des Hôpitaux et des Maisons de Force ;] et à Doublet [ Colombier et Doublet sont à l’origine de l’instruction sur la manière de gouverner les insensés et de travailler à leur guérison dans les asiles qui leur sont destinés, paru dans Observations faites dans le département des hôpitaux civils (p339-392) Imprimerie Royale, 1785.], son assistant, sous l’impulsion de Necker[ Necker a 36 ans quand il est nommé ministre de la République de Genève à Paris et présenté au Roi de France. https://francearchives.fr/fr/commemo/recueil-2004/38651], constituera un texte fondateur et définira les asiles comme « lieux de soins ». Dans un contexte révolutionnaire particulier, ce document pose les jalons d’un paradigme nouveau : « l’insensé est un malade susceptible d’être guéri » [ Muller, S. (2011). Comprendre le handicap psychique. Ed. Champ social.].
En 1800, après avoir enlevé leurs chaînes aux aliénés à Bicêtre[ En 1656, l’hôpital devient un hospice, puis une prison d’État et enfin un asile d’aliénés. Aujourd’hui il est intégré dans l’AP HP.], Pinel écrit son Traité médico-philosophique et marque la naissance de la psychiatrie « moderne ». Dans ce traité, Pinel propose des méthodes qui stimulent les émotions, à l’opposé des méthodes traditionnelles à base de purges et de saignées ; il prône également la douceur, le raisonnement et l’humanité.
Au début du XXème siècle, un patient psychiatrique Clifford W. Beers attire l’intérêt public en évoquant la nécessité de faire évoluer le système de santé vers des soins et des traitements plus responsables.
Toujours dans une perspective de soins plus respectueux de la sensibilité de l’usager mais avec un militantisme affirmé, Rachel Grant-Smith publie en 1922 Les expériences d’un patient d’asile et relate les négligences qu’elle a subies. De son côté, le psychiatre italien Franco Basaglia (1924-1980), est organisateur de communautés thérapeutiques qui défendent le droit des individus psychiatrisés (notamment, la loi 180 vise l’abolition des hôpitaux psychiatriques).
Plus récemment, dans les années 1970, le mouvement des survivants psychiatriques (Survivors [ https://www.cairn.info/revue-rhizome-2017-3-page-22.html ]) se déclare aux Etats-Unis. Souvent, ils étaient usagers ou ex-usagers des services de santé mentale, victimes de dysfonctionnements du système de soin. Des chercheurs et des professionnels ont progressivement rejoint le mouvement.
II°) Apparition des neuroleptiques
Les neuroleptiques sont avant tout des calmants, des tranquillisants, initialement qualifiés de majeurs, qui peuvent être prescrits en cas d’agitation. Certains d’entre eux ciblent davantage l’agitation intérieure, notamment émotionnelle ou liée à un emballement des pensées tandis que d’autres ciblent surtout l’agitation motrice. Ces médicaments peuvent donc aider à calmer un délire, et se révèleront d’autant plus efficaces que ce délire est envahissant (angoisse, colère, euphorie), et/ou source de troubles du comportement [ Detraux, J. et al. “Effects of antipsychotics antidepressants and mood stabilizers on risk for physical diseases in people with schizophrenia, depression and bipolar disorder”. World Psychiatry. 14(2) ; pp.119-136. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4471960/ ].
En 1883, le chimiste allemand August Bernthsen réussit la synthèse de la première phénothiazine [ Les phénothiazines représentent la plus ancienne famille d’antipsychotiques disponibles. L’indication principale des phénothiazines neuroleptiques est le traitement des psychoses aiguës ou chroniques de l’adulte. https://pharmacomédicale.org/medicaments/par-specialites/item/phenothiazines ] dans le cadre de recherches sur les colorants chimiques.
En 1910, Sir Henry Halett Dale (1875-1968) et son équipe établissent le rôle de l’histamine dans le choc anaphylactique[ Manifestation la plus grave d’hypersensibilité immédiate entraînant un trouble grave de l’homéostasie circulatoire, dont le traitement repose sur le remplissage et l’administration d’adrénaline. https://www.smfu.org/upload/70 formation/02 eformation/02 congres/Urgences/urgence2013/données/pdf/073 Bellou.pdf ], point de départ des recherches sur les antihistaminiques de synthèse.
Dans cette progression de la recherche nous pouvons déplorer un manque d’efficacité et peu de scientificité de la psychiatrie au moment de la Seconde Guerre mondiale. En effet, à cette époque les moyens thérapeutiques sont souvent limités aux cures et aux chocs (bien que les conséquences soient remises en cause).
La période d’après-guerre marque une transition et c’est en 1952 que le Largactil, premier médicament antipsychotique, est mis sur le marché par la firme Rhône-Poulenc. Qu’il s’agisse des histoires des médicaments contemporains ou des écrits spécialisés sur l’histoire et les développements de la psychiatrie, ce médicament est décrit unanimement comme révolutionnaire et cela à plusieurs niveaux.
En 1955, Jean Delay et Pierre Deniker créent le nom de « neuroleptique » (qui « prend/saisi le nerf » ou « ayant une action neurologique »). Cinq critères définissent son action : effet sédatif, réduction des troubles psychotiques, production de syndromes diencéphaliques [ Syndromes cérébraux primaires et secondaires.] et extrapyramidaux [ Les syndromes extrapyramidaux sont à l’origine de mouvements involontaires neurologiques.] (ou parkinsoniens), actions sur les structures sous-corticales [ Actions dans les zones sous-corticales du système nerveux central qui entrainent moins de blocage dopaminergique.
https://pharmacomédicale.org/medicaments/par-specialites/item/neuroleptiques ]. Il s’agit d’un tournant majeur dans l’histoire de la psychiatrie car désormais des pathologies sévères sont traitées. Ce nouveau modèle de soin permet au patient d’accéder à une meilleure stabilité, une meilleure qualité de vie et à une socialisation plus satisfaisante. Ces progrès ont permis de réduire de façon déterminante la durée des hospitalisations et de rendre le rétablissement accessible. Ainsi, l’apparition des premiers neuroleptiques et les progrès pharmacologiques remarquables de ces dernières décennies ont permis de changer radicalement le regard porté sur les pathologies psychiatriques et sur les moyens employés pour les soigner. Cependant, le traitement médicamenteux n’est pas sans revers et les effets secondaires ne sont pas bénins : le patient doit apprendre à vivre avec, parfois durant le reste de sa vie.
Parallèlement à la mise en place de ces traitements médicamenteux, d’autres pratiques soignantes, moins invasives, favorisent le rétablissement des malades et notamment, les psychothérapies humanistes développées dans les années 1960. Celles-ci doivent permettre aux patients de s’épanouir et de se dépasser, face aux impératifs du système industriel, vécu comme contraignant et aliénant, mais aussi face aux contraintes familiales, aux contraintes morales, etc. L’objectif de ces thérapies est de favoriser l’épanouissement de l’individu (C.G Jung, R. May) et du soi (A. Adler) du bonheur individuel, du sens de la communauté et de la créativité.
L’évolution des neuroleptiques et des traitements médicamenteux révèle une facette des progrès de la science et de l’évolution de notre système de santé en matière de soins psychiatriques. Quelle que soit l’aide qu’ils apportent, ils sont donc à considérer comme un outil important dans le parcours de rétablissement. Parfois nécessaires, ils peuvent cependant engendrer des effets secondaires handicapants et compliquer les processus d’inclusion sociale et de rétablissement. Ces contraintes doivent être davantage prises en compte pour que les médicaments soient réellement complémentaires aux mesures de traitement non invasives.
III°) Un changement de paradigme au niveau législatif
D’après l’OMS, « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Le terme d’« usagers » s’applique aux personnes malades, à leurs proches ainsi qu’à tous les utilisateurs du système de Santé publique.
Les arrêts Mercier (1936) et Teyssier (1942) reconnaissent un lien juridique entre le patient et son médecin : on parle alors de droits des malades.
Le droit des usagers dans le domaine social et médico-social a été concrètement reconnu par la loi du 2 janvier 2002 (article L311-3 CASF). Elle précise une nouvelle définition de l’action sociale, délimite le rôle et les obligations des acteurs et reconnaît des droits aux usagers. Ils sont en droit d’obtenir une aide adaptée à leurs besoins, l’exercice de leur citoyenneté et de leurs droits fondamentaux. Presque absent de la loi de 1975 relative à l’action sociale et médico-sociale, l’usager est placé au cœur du dispositif de la loi.
La loi du 4 mars 2002 nommée « Loi Kouchner » se décline en parallèle de cette loi rénovant l’action sociale, détermine un contexte juridique et confirme la place de l’usager au cœur du système de soins. Elle est relative aux droits des malades ainsi qu’à la qualité du système de santé et a été votée par le gouvernement de Lionel Jospin sous la présidence de Jacques Chirac. Une loi de 119 pages a été rédigée après consultation des associations de patients au cours de la pandémie du VIH-sida. Elle répond aux attentes des malades, redéfinit le rôle essentiel des professionnels de santé et améliore les droits des usagers[ Cette loi est particulièrement intéressante car elle met en perspective un panel d’informations accessibles aux usagers, dont peuvent se servir les médiateurs dans le cadre de leurs missions.]. La qualité des soins est optimisée.
Ainsi, en France, la politique de Santé publique s’oriente vers le contrôle et la régulation de l’accès aux services sanitaires pour les toxicomanes encore non sevrés. Néanmoins, l’ONU s’oppose depuis 2009 à cette politique de Réductions Des Risques et Dommages (RDRD) en l’accusant de « complicité avec la drogue » [ Chappard P., Couteron J-P, MOREL A., Origine et histoire de la réduction des risques, dans l’aide-mémoire de la réduction des risques en addictologie, 2012.]. L’abstinence reste fortement ancrée dans les méthodes de soins, de traitement et d’entraide. Cependant, la parole des usagers et leurs droits sont aujourd’hui de mieux en mieux représentés.
A l’image du Québec, on se réfère désormais aux patients-experts afin de mieux comprendre les pathologies et les conséquences psycho-sociales qui en découlent. Ils servent de médiateurs entre le monde médical et l’expérience vécue par les patients, par leurs expertises pertinentes de la maladie chronique et des traitements. Ils peuvent être aussi désignés patients pairs, ressources, partenaires, formateurs ou acteurs.
Depuis décembre 2018, un programme de recherche est validé et se poursuit à l’heure actuelle. Il s’agit d’une « étude interventionnelle multicentrique, randomisée, comparative, prospective, évaluant l’impact sur le parcours de soins d’un programme de rédaction accompagnée de Directives Anticipées incitatives en Psychiatrie (DAiP) pour des personnes souffrant de schizophrénie, troubles bipolaires de type I ou troubles schizo-affectifs. Ce projet de recherche fait suite à une thèse de psychiatrie étudiant la faisabilité de la mise en place des DAiP ayant montré l’intérêt de la facilitation par un médiateur de santé pair. Les DAiP sont un nouvel outil mis en place par un collectif d’usagers. Il donne la possibilité aux personnes concernées par les troubles psychiques de rédiger leurs consignes de soins. Ce document concerne l’accompagnement et les traitements dont souhaite bénéficier la personne concernée. Il se construit à partir d’expériences passées et est destiné à l’attention des proches, de la famille, des amis, de la personne de confiance et des soignants ».[ https://esperpro-mediateur.fr/]
Actuellement, les symptômes anxieux générés par la crise sanitaire de la COVID 19 ainsi que les mesures restrictives au niveau social ont fortement impacté et dégradé la santé mentale des populations (enquête COVIPREV menée par Santé publique France[ Suivi d’un échantillon de 2000 personnes sur les niveaux de satisfaction de vie, les problèmes de sommeil, les états anxieux et dépressifs en population générale adulte durant la pandémie.]). Il est impératif que les principaux acteurs de Santé publique et les intervenants de terrain (travailleurs sociaux, personnels soignants, médiateurs de santé) se concertent et coordonnent différents plans d’interventions adaptés aux nouveaux enjeux que cette crise sanitaire implique.[ www.santepublique.fr ]
Virginie Belle, médiatrice de santé paire/étudiante en Santé publique