Fixer l’instant

C’est difficile de retranscrire tout ce qu’il se passe. Surtout en images car elles sont souvent trop personnelles, inavouées, honteuses, sublimes et destructrices. Il est impossible de mettre en image tout ce que signifie
l’injection pour les gens qui en sont addicts et pour ceux qui les suivent ou les accompagnent. « Tu ne sais pas où te piquer ? T’inquiètes je t’emmène dans un bar, dans un parking, un hall d’entrée, je t’aide si tu veux, je te file du désinfectant, te tiens le garrot », etc… Il y a des enfants, des vigiles, des promeneurs, et finalement tu me demandes de t’accompagner pour te shooter autre part, ailleurs qu’à la vue de tous. Mais à deux ça paraîtra sûrement moins glauque dans la rue, les passants auront peut-être un regard plus clément. « Viens chez moi au pire. » C’est devenu un appart de shoot alors même que je ne prends rien. Habitant au cœur de tout : lieux d’achat et assos qui distribuent du matos, je suis parfois la seule option pour ne pas se shooter au milieu des gens « biens », ou de la pisse. Cette odeur infecte des coins où personne ne peut passer pour vous juger ne pourra jamais se ressentir en photos. Elle est tellement puissante pourtant, elle pique. On m’a déjà dit que le fix devait être associé à quelque chose de désagréable – comme cette épouvantable odeur de déjections humaines – pour ne pas devenir trop bon et addictif. C’est la parole de ceux qui veulent s’en sortir. Pour les autres, tout est différent. Tous se cachent pourtant. Ceux qui assument, n’assument pas ou n’assument plus. Même dans mon propre chez moi, j’ai été témoin de cette peur du jugement. Seringues, cups, filtres et sérums phy, retrouvés des jours, des semaines après usage, cachés dans tous les recoins de mon appart. Je pensais que leur offrir un foyer était bénéfique, mais ça ne l’a pas été. Pas pour tous. Ce n’est pas assez neutre. On a toujours besoin de ce lieu où l’affection n’est pas altérée par ce simple geste. Je ne me shoote pas. Je suis pourtant l’une des leurs. Une tox comme eux, qui par chance a le droit de se montrer car elle ne s’injecte pas sa came ; elle la boit sous forme d’alcools et de médicaments, la fume sous forme de tabac mais là n’est pas le débat, il serait bien trop fastidieux et chronophage de discuter de ce qui – pour l’heure – est en plus inutile (et légal). Mais parlons de ce geste, celui de la cigarette ou de la seringue, celui qui reste au-delà de la substance comme une nostalgie, une habitude, un rythme de vie…

Textes issus des ateliers Photovoix

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