Expériences carcérales en temps de crise sanitaire

Depuis le printemps 2020, les personnes détenues dans les prisons françaises sont soumises, comme le reste de la population, à des mesures spécifiques visant à prévenir la propagation du Covid-19. Comment ces mesures sont-elles appliquées dans les établissements pénitentiaires ? Comment les personnes détenues les vivent-elles, et qu’en disent-elles ? Cet article rend compte de leur expérience face à la pandémie. Il s’appuie sur des entretiens socio-ethnographiques réalisés dans cinq prisons, entre janvier et mars 2021, dans le cadre d’une recherche sociologique développée au Centre Max Weber (Unité mixte de recherche du CNRS).

Conséquences de la crise sur le quotidien des personnes détenues

Le sentiment de vivre une « peine dans la peine », une « double peine », de faire « de la prison dans la prison » ou d’être « confiné dans un confinement » est exprimé par de nombreuses personnes détenues rencontrées à travers notre enquête en prison. Les restrictions mises en œuvre pour limiter la propagation du virus y apparaissent comme « une atteinte supplémentaire aux libertés », pour reprendre les mots d’Olivier, 35 ans, détenu depuis 33 mois. Cette atteinte des libertés lui apparaît d’autant plus forte que, du fait de son statut de prévenu dans une affaire pénale, il est déjà soumis à un régime carcéral parmi les plus restrictifs en étant incarcéré dans une maison d’arrêt.

Détention (Versailles)

Lors du premier confinement national, l’arrêt soudain de l’ensemble des activités proposées en prison a progressivement laissé place à l’application de règles plus souples et évoluant rapidement, en miroir des mesures imposées en population générale. Les jours qui ont suivi l’annonce de ce confinement sont apparus particulièrement éprouvants pour les personnes détenues. Emprisonnement 22h/24 dans des cellules sur-occupées en maison d’arrêt. Suppression des parloirs. Arrêt de la distribution de repas chauds. Accès réduit aux cabines téléphoniques. Difficultés à envoyer des courriers hors de prison. Annulations d’entretiens parfois prévus de longue date avec des professionnel·les (avocat·es, conseiller·es pénitentiaires…). Seules les promenades sont restées garanties, mais avec une fréquence moindre (une par jour quand la plupart des établissements pénitentiaires en proposent deux).

Certains aménagements ont aussi été salués par les détenu·es : accès à des douches quotidiennes (au lieu de deux ou trois par semaine) ; frais de location de frigos et de télés non-prélevés sur les pécules ; minutes d’appels téléphoniques offertes par l’administration pénitentiaire. Ces aménagements n’ont néanmoins pas toujours garanti la préservation du lien avec les proches : des détenu·es qui n’avaient pas fait de demande pour utiliser les cabines téléphoniques, n’en voyant pas l’utilité car bénéficiant de parloirs, soulignent avoir été privé·es de nouvelles, la procédure d’autorisation à ajouter un numéro d’appel téléphonique étant longue. L’utilisation de téléphones portables, illégaux en détention, a constitué pour nombre de personnes un moyen privilégié de conserver un lien avec leurs proches dans ce contexte. La possession ou la possibilité d’emprunt d’un portable en détention est néanmoins étroitement liée aux sociabilités carcérales, en plus d’impliquer des risques de sanctions disciplinaires et pénales.

Grand quartier (Bois d’Arcy)

La vie en détention semble ainsi s’être figée en mars 2020. Les parloirs, les activités scolaires sportives, le travail et les formations ont subitement été mis à l’arrêt. Comme le raconte Thierry, détenu en centre pénitentiaire, cette mise à l’arrêt a été particulièrement brutale : « Moi, je travaillais aux ateliers à l’époque, et on nous a appris à 10h qu’on arrêtait de travailler à 11h30, et qu’on ne reprendrait pas l’après-midi. Ça a été un peu la douche froide ». Le témoignage de Nicolas, détenu en maison d’arrêt, traduit lui aussi cet état de sidération : « Du jour au lendemain (je me rappelle c’était un mardi), je devais aller travailler (je travaillais aux ateliers), et normalement les surveillants passent vers 7h30 pour nous emmener aux ateliers. Et puis, à 7h30, personne. Pas de bruit. Rien du tout. Alors je dis : “Il y a un blocage. Il y a un problème”. Et c’est qu’un quart d’heure après qu’il y a un surveillant qui arrive (je crois qu’il avait le masque et des gants en latex), et qui nous fait : “Pas de travail aujourd’hui !” Voilà ».

L’arrêt du travail n’a pas concerné les détenu·es « auxiliaires », recruté·es par l’administration pénitentiaire, mais spécifiquement celles et ceux travaillant à la pièce, dans les ateliers, pour des entreprises privées. Si les fermetures des ateliers ont par la suite été progressivement levées, le nombre de personnes autorisées à y travailler a quant à lui été limité par l’administration. Des détenu·es ont ainsi été, et sont toujours, privé·es de salaire, et peuvent éprouver des difficultés pour cantiner, notamment des cigarettes et des produits de première nécessité.

Détention (Meaux)

La suppression des parloirs, puis leur retour mais dans des cabines aménagées de parois en plexiglas visant à empêcher tous contacts physiques, a été difficile à vivre pour la population carcérale. Celles et ceux qui sont parents de jeunes enfants l’ont particulièrement mal vécu. Avec les parloirs « hygiaphones », « on est revenu quarante ans en arrière », soutient ainsi Marc, détenu depuis 10 mois en centre pénitentiaire, avant d’expliquer : « Ma fille je ne peux pas la prendre dans mes bras, je ne peux pas lui faire un câlin. C’est ma fille, et je n’ai pas le droit (…). Je préfère avoir quelqu’un au téléphone, que de l’avoir en face de moi mais derrière une vitre ». Ce récit n’est pas rare. De nombreuses personnes détenues n’ont plus aucun lien avec leurs proches depuis le début de l’épidémie, à cause de la distance géographique, de mesures perçues comme trop contraignantes ou parce qu’elles ne veulent pas prendre de risque ou en faire prendre à leurs proches. L’arrêt des parloirs à des conséquences, au-delà d’une absence de liens affectifs, sur la vie quotidienne en prison. Ce sont en effet souvent les proches qui assurent le relais avec les administrations, notamment judiciaires, lors de leurs visites aux parloirs. Ce sont aussi les proches qui assurent habituellement la gestion du linge. (Sans parloirs, les détenu·es n’ont souvent d’autres solutions que de laver leur linge à la main, à l’eau froide, dans l’évier de leur cellule, ou dans les douches collectives dans un temps imparti, avant de le faire sécher en confectionnant des cordes à linge à partir de sacs poubelles noués les uns aux autres – ces installations, interdites par l’administration pénitentiaire, sont de plus régulièrement détruites et peuvent conduire à des sanctions disciplinaires. Des détenu·es ont également pu utiliser, à la marge, les machines à laver des buanderies, un passe-droit réservé à celles et ceux qui ont des relations privilégiées avec les « auxiliaires » responsables du linge et le personnel pénitentiaire.) C’est aussi par le biais des parloirs que des détenu·es s’approvisionnent en drogues. Des personnes consommatrices, notamment de cannabis, ont été confrontées à un manque d’approvisionnement et à une augmentation des tarifs en détention, les plaçant dans une situation de manque qui a été d’autant plus éprouvante que le contexte était lui-même angoissant.

Au cours de l’année qui a suivi ce premier confinement, nombre d’espaces à disposition des détenu·es n’ont jamais rouvert : la bibliothèque, le coiffeur, la salle de sport, les Unités de vie familiale, etc. Quelques activités qui s’étaient arrêtées ont en revanche pu reprendre de façon aménagée. Par exemple, le culte a repris, mais sans qu’il soit possible de se réunir à plus de six ni de recevoir l’aumônier à sa cellule en partageant un café. Les activités scolaires ont pu reprendre également, mais en réalisant des exercices seuls dans sa cellule ou avec quelques cours individuels selon la prison. Les colis de Noël, que les proches peuvent déposer pour les fêtes et qui constituent un moment de réconfort pour les détenu·es, ont quant à eux été soumis à des règles strictes, interdisant les plats cuisinés et n’autorisant que la nourriture pouvant se conserver 48h (afin que l’administration puisse isoler les denrées).

Cellule (Bois d’Arcy)

Tout au long de cette étrange année, les modifications fréquentes du règlement des établissements pénitentiaires ont amplifié le sentiment d’incertitude dans lequel sont placé·es les détenu·es, dont tous les aspects de la vie quotidienne – de l’heure de la douche au contenu du repas – sont minutieusement réglés par une administration. « Ça change très vite en fait. Les choses elles évoluent. Personne ne sait où se situer vraiment », confie Moussa, détenu en maison d’arrêt. Comment savoir ce qui est autorisé ou non ? Ce qui le sera demain ? Souleyman, lui aussi détenu en maison d’arrêt, raconte : « Je parlais avec ma mère le 29, et je lui ai dit : “C’est dommage que je peux pas voir mes filles” (…). Et en fait elle me dit : “Ben je comprends pas ?! Pourquoi il y a une femme qui est venue avec une poussette et son bébé ?”, (…) En fait je sais pas comment ils fonctionnent ici. »

La crise sanitaire a également des conséquences sur les situations judiciaires. D’abord, les dates des procès ont pu être repoussées, parfois jusqu’à trois fois de suite, ce qui a prolongé une attente déjà éprouvante pour les personnes en attente de jugement. Les libérations prononcées lors du premier confinement (grâce à l’octroi de « remises de peine exceptionnelles » et à des aménagements de peine) ont quant à elles pu laisser penser que « le problème de la surpopulation carcérale en réalité n’est pas un problème, puisqu’il a été résolu en moins de deux semaines », pour reprendre les termes d’Olivier. Ensuite, les injonctions à avoir un « projet » en détention, à « faire quelque chose » durant sa peine, très présentes dans les discours des professionnel·les de la justice et de la pénitentiaire, peuvent apparaître en décalage avec la situation actuelle. Comment participer aux activités de la prison quand celles-ci sont précisément réduites ? Comment chercher un emploi et bénéficier d’un aménagement de peine quand nombre de secteurs professionnels connaissent une crise sans précédent ? Quel est même le sens de cette peine ?

Maison d’arrêt (Meaux)

Dans des prisons, des révoltes ont éclaté. Feux de matelas en cellule. Refus de quitter la promenade. Altercations avec des surveillant·es. Ces mouvements de protestation ont parfois été organisés simultanément dans plusieurs prisons, par l’intermédiaire de réseaux sociaux. Les « blocages des promenades » ont quelques fois permis d’ouvrir un dialogue avec la direction, mais ils ont le plus souvent été réprimés : les ELAC (Équipes locales d’appui et de contrôle) ou les ERIS (Équipes régionales d’intervention et de sécurité) ont été appelées en renfort, et les détenu·es en première ligne ont été placé·es au quartier disciplinaire ou ont fait l’objet de transferts disciplinaires dans une autre prison.

Un virus si loin, si proche

Les témoignages recueillis laissent entrevoir un rapport ambivalent au Covid-19. Si certain·es se sentent particulièrement protégé·es, du fait d’un éloignement certain du virus, et d’un confinement déjà existant de fait ; d’autres voient leur emprisonnement comme un risque supplémentaire d’infection.

La « distanciation sociale » n’est pas tenable lorsque l’on vit continuellement en collectivité dans un espace fermé. Cellule double ou « triplette ». Caillebotis obstruant les fenêtres et leurs aérations. Douches collectives. Promenade groupée dans des surfaces réduites. Escaliers étroits. File indienne. Ces conditions de vie exacerbent un sentiment de surexposition à la maladie chez les détenu·es qui, comme Olga, sont « à risque » de développer une forme grave de la maladie : « Un jour le gradé m’a demandé : “Avez-vous peur ?” Oui, bien sûr j’ai peur. Je ne veux pas mourir en prison. Oui j’ai peur. J’ai 62 ans bientôt. Je suis vulnérable. Je peux mourir. Et mourir en prison, vous pouvez imaginer ce que c’est. » La nuit, ce sentiment peut être amplifié : comment obtenir de l’aide en cas de symptômes inquiétants, en cas de problème grave, mettant en jeu la vie des personnes ? Des systèmes d’interphones existent dans de rares prisons, mais ils ne conduisent pas nécessairement à une réaction de la part des agents pénitentiaires. En l’absence d’interphones, une seule solution : crier, faire du bruit en tapant dans leur porte, puis patienter, parfois des heures, parfois sans réponse. Thomas, détenu depuis 5 ans en centre pénitentiaire explique se sentir « piégé », en journée comme de nuit : « Enfin moi, je me suis senti depuis le début, piégé. C’est que, j’ai aucun mouvement. S’il arrive quoi que ce soit, clairement je peux rien faire ».

Promenade (Meaux)

Comment, dès lors, se protéger et protéger les autres du virus en prison ? Le port du masque, principal moyen de protection individuelle, fait l’objet de nombreux commentaires derrière les murs des prisons. Dans un premier temps, celui-ci a été interdit à la population carcérale. L’administration pénitentiaire jugeait en effet que le masque constituait un manquement à la sécurité en empêchant l’identification des détenu·es – qui ne sont pas non plus autorisé·es à porter des sweats à capuches ou bonnets en détention. (Il importe de rappeler que le risque sécuritaire est également invoqué, hors contexte Covid, pour interdire la mise en place d’autres outils de réduction des risques infectieux qui ont fait leurs preuves hors de prison, tout particulièrement les programmes d’échange de seringues). Ce n’est qu’en août 2020 que l’interdiction du port du masque a été levée. Les détenu·es ont commencé à se voir remettre des masques à l’automne – leur usage était déjà courant depuis plusieurs mois hors de prison. L’accès au gel hydro-alcoolique est quant à lui toujours limité ; le produit n’est présent que dans les zones de passage et distribué en début et fin de promenade par les surveillant·es : les personnes détenues ne sont pas autorisées à en détenir.

Les récits recueillis montrent néanmoins que la plupart des détenu·es se sentent relativement protégé·es du virus en prison, car « confiné·es » de fait. « On se sentait toujours protégées compte tenu qu’on est quand même relativement enfermées », dit Marie, détenue depuis 4 ans. Ce qui se passe « dehors » peut de façon générale paraître loin, tout particulièrement quand on est emprisonné·e depuis ou pour plusieurs années. « On se sent pas concernés vraiment, on est dans un autre monde, un univers un peu clos, c’est particulier », justifie Bertrand, détenu en centre pénitentiaire. Pour des personnes détenues parmi les plus isolées, les chaînes d’informations en continu constituent le seul moyen de savoir ce qui se passe « dehors », comme le montre le récit de Saïd, détenu depuis 4 ans en maison d’arrêt, qui décrit ce qu’il voit à la télé : « Pour moi [dehors], c’est la guerre, mais c’est un truc de ouf. Parce que moi, quand je suis rentré, c’était l’été, je suis rentré ici, c’était l’été, il faisait beau, tout le monde était en vacances, c’était à la cool. Et là, je vois ce qu’il se passe, tous les mois (…) Et je vois tous les morts qu’il y a ».

L’accès à l’information

Le manque d’informations sur la situation épidémiologique locale, à l’échelle de la prison, nous a été rapporté par de nombreuses personnes détenues. Ismaël, emprisonné en maison d’arrêt, dénonce le manque de transparence de l’administration : « On n’est au courant de rien. (…) on ne sait pas s’il y a quelqu’un qui a été atteint. (…) C’est pas normal ! Sérieusement. On est là, on vit dans le stress, dans l’angoisse, on sait pas ». Les résultats des tests PCR effectués ne sont eux-mêmes pas toujours annoncés aux détenu·es, qui doivent déduire un « négatif » du silence faisant suite au test.

Les règles en cours dans l’établissement (espaces de confinement, activités suspendues…) ne sont de même pas toujours connues, bien qu’un système d’affichage dans les coursives permette de se tenir informé·e – mais encore faut-il y avoir accès, savoir lire, savoir lire le français, et vérifier fréquemment le panneau d’affichage. Les surveillant·es ayant le souci d’informer la population carcérale transmettent ces informations à l’occasion de rondes ou tout en transmettant d’autres informations, mais ceci de manière aléatoire et inégale. Quelques directions d’établissement ont quant à elles organisé des réunions d’information où ont été convié·es certain·es détenu·es désigné·es « représentant·es » et se faisant les porte-voix des autres.

C’est surtout par le bouche-à-oreille que la population carcérale s’informe, au risque de favoriser la circulation de « rumeurs ». Comme le souligne Bertrand : « On entend des bruits, des rumeurs. C’est comme ça qu’on entend des choses. (…) on n’est pas informé par l’administration pénitentiaire, ça, c’est clair ». Les détenu·es ne sont pas sur un pied d’égalité face à l’information. Les « auxiliaires », qui ont des contacts quotidiens avec les surveillant·es, et les détenu·es qui se rendent fréquemment à l’infirmerie, comme Moussa (détenu depuis 6 mois en maison d’arrêt), se sentent plus souvent mieux informé·es que les autres. Ce dernier explique : « Tout le monde n’a pas le bénéfice d’avoir l’information tout de suite. Moi, je l’ai. Pourquoi ? Parce que je suis en contact quotidien avec l’infirmière, dans le sens là où quand elle me ramène mon traitement et tout, voilà, il y a une forme de complicité qui s’est installée qui fait que j’arrive à savoir certaines choses. »

Promenade (Versailles)

L’épidémie peut enfin exacerber la méfiance envers les institutions, qui est déjà particulièrement forte dans cette population. Le sentiment d’être des « citoyens de seconde zone » et de ne pas être pris en compte est vif. « Ils parlent des maisons de retraite. Ils parlent de ça, mais ils ne parlent pas des prisons, parce qu’ils ont un peu oublié », dit Souleyman, 30 ans, détenu en maison d’arrêt. « Dans l’idée de la population française, il est normal que les détenus souffrent. C’est normal. S’il est en prison, c’est parce qu’il a fait un truc qui n’est pas bien », souligne Olivier. Le témoignage de Yann, détenu depuis 3 ans en maison d’arrêt, est également révélateur : « Je dis pas qu’il y a pas de misère en France, il y en a de la misère en France, mais il y en a pas mal aussi en prison, mais on fait pas attention à cette misère ».

La gestion carcérale d’une épidémie

L’épidémie de Covid-19 agit comme un révélateur du caractère disciplinaire de l’institution carcérale. Le contrôle de l’application par les détenu·es des mesures prophylactiques (masques, « distanciation sociale » …) apparaît ainsi avoir été intégré à son système de sanctions. La population carcérale doit par exemple s’engager, en signant une charte, à respecter les gestes barrières sous peine de faire l’objet d’un « compte rendu d’incident » pouvant aboutir à des restrictions supplémentaires de liberté. À la suite de parloirs, des personnes détenues ayant eu des contacts physiques avec leurs proches se sont par exemple vues isolées 14 jours en cellule, puis sanctionnées par un placement en quartier disciplinaire. Autre exemple : le non-respect des gestes barrières peut conduire à un « déclassement », c’est-à-dire à une suppression du droit à travailler aux ateliers pour un temps déterminé – et limiter les possibilités de cantiner, de régler ses frais de procédure, de payer un logement à l’extérieur, etc.

« Restez chez vous » : ce leitmotiv prend une coloration singulière dans une institution qui dispose de tout l’attirail nécessaire pour interdire la liberté d’aller et venir. Pour contrer la propagation du virus, les directions des établissements ont mis en place des mesures d’isolement en cellule et de limitations des déplacements des « arrivants » en détention, mais aussi des personnes de retour de permission, des personnes identifiées « cas symptomatiques », « cas contact » ou « contacts pays » (c’est-à-dire transférées depuis un autre pays). Stéphane décrit cet isolement comme « une expérience qui est assez… très angoissante ». Il raconte : « Je suis resté du lundi matin à 11h au mercredi matin à attendre le résultat – car j’étais en suspicion de Covid – dans une cellule où je me suis retrouvé comme un arrivant, dénué de tout mon confort que j’ai là, toutes mes cantines, tout. Je me suis retrouvé dans une cellule glaciale avec un paquetage arrivant, avec une couverture, le strict minimum. On m’a ramené un petit colis de ma cellule que mon codétenu, qui ne savait pas où j’étais, m’a mis des trucs dedans. » Marie, 49 ans et détenue depuis 4 ans, a également vécu cet isolement de façon dégradante : « [les surveillantes] nous obligeaient à porter le masque pour déposer le repas [à la cellule], et puis à nous mettre dans le fond de notre cellule. Et surtout à mettre notre plateau avec notre chaise devant la porte. Je suis pas un animal (…), je l’ai mal vécu dans ce sens-là, parce que j’ai eu vraiment l’impression qu’ils s’adressaient à des bêtes. »

Cette gestion disciplinaire de l’épidémie peut amener des personnes détenues à préférer dissimuler leurs symptômes évocateurs du coronavirus (toux, frissons…), de peur de faire l’objet d’un emprisonnement encore plus contraignant. C’est le cas de Moussa, fiévreux, qui confie en toussant hésiter à s’adresser au personnel soignant de la prison : « Pendant tout le week-end je me suis posé la question : “Est-ce que je le dis ? Est-ce que je vais le dire ?” Ils vont prendre des dispositions bizarres avec moi. Ils vont reconfiner l’étage. Ils vont couper mes parloirs. Les contraintes qui suivent, ça donne pas envie de se déclarer. » Mohamed, détenu dans la même prison, ne s’est pas remis de la PCR qu’il a subi de force, la semaine précédente, suite à des symptômes évocateurs et alors qu’il consultait pour tout autre chose un médecin ; il explique : « la prochaine fois je vais rien dire (…) comme ça je suis sûr de pas avoir de PCR ». Son parloir prévu de longue date avait été supprimé, et sa petite amie s’était présentée pour rien aux portes de la prison.

« C’est déjà l’enfer, on va dire en prison, mais là vraiment… », témoigne Quentin, détenu depuis 3 ans en centre pénitentiaire, ne trouvant pas les mots pour finir sa phrase et décrire son expérience. Les mesures coercitives et restrictives de liberté qui s’appliquent à l’ensemble de la population résidant en France prennent une teinte bien particulière dans l’institution carcérale, posant la question de l’égalité de traitement dans la gestion de la pandémie.

Léo Farcy-Callon (post-doctorant, Centre Max Weberc / ESO)
Lara Mahi (Maîtresse de conférences, Centre Max Weber)
Vincent Rubio (post-doctorant, Centre Max Weber / Sophiapol)
Dessins Léo Farcy-Callon

Noyau (Bois d’Arcy)
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