TRANS&VIH : Un projet de recherche soutenu par l’ANRS
[ ANRS : agence autonome de l’Inserm /France Recherche Nord & Sud, Sida-HIV, hépatites.]
En France, être une personne trans est encore un tabou. Même si des avancées ont été réalisées d’un point de vue administratif et juridique, il reste encore beaucoup d’inconnues. Quel est leur état de santé ? Quelle est leur situation sociale ? Actuellement, en France, nous ne savons pas combien il y a de personnes trans, ni qui elles sont. L’absence d’information maintient leur invisibilité et contribue à leur stigmatisation.
Si être une personne trans entraine des difficultés, qu’en est-il de celles qui en plus vivent avec le VIH ? Les difficultés se cumulent-elles ? Quel est le poids de la transidentité par rapport à celui de la séropositivité ? Nous savons que pour les personnes séropositives, la maladie VIH reste très présente dans leur vie quotidienne, et elles sont encore très souvent stigmatisées.
Les questions liées au vécu et à l’impact de la séropositivité chez les personnes trans restent encore très peu étudiées.
L’équipe de recherche du SESSTIM a proposé, dans un premier temps un projet de recherche, pour évaluer l’intérêt de réaliser une étude sur le parcours et les conditions de vie des personnes trans vivant avec le VIH. Le but étant de comprendre comment le VIH s’inscrit dans le parcours de transition et dans la vie quotidienne.
Ce projet a permis :
1-D’identifier le nombre de personnes trans séropositives suivies dans les services de maladies infectieuses, en France.
Parmi les 110 894 personnes séropositives suivies dans 53 structures hospitalières, 763 personnes trans ont été identifiées : 762 femmes trans et 1 seul homme trans, soit environ 0,68% des personnes séropositives suivies dans les hôpitaux en France Métropolitaine.
2-D’identifier leurs besoins et comprendre leurs conditions de vie.
Nous avons réalisé des entretiens et des groupes de paroles, sur Paris et Rouen, auprès de 38 femmes trans. Parmi elles, 36 sont migrantes et 37 ont déjà exercé le travail du sexe. Les discriminations et stigmatisations arrivent en tête de liste. Et cela les affecte depuis leur plus jeune âge, sur toutes les dimensions de leur vie. Nous avions pour but d’évaluer le poids de leur séropositivité sur leur vie quotidienne et sur leur qualité de vie. Nos résultats montrent que pour ces personnes le VIH n’est pas une priorité au regard de la triple stigmatisation qu’elles subissent : personnes trans, migrantes et travailleuses du sexe.
3-De proposer une grande enquête nationale.
Être une personne trans et vivre avec le VIH, c’est encore trop souvent devoir surmonter des obstacles pour la reconnaissance de ses droits et son accès aux soins. Pour cela, l’ANRS lance à l’automne 2020, une grande enquête nationale, sur toutes les personnes trans séropositives suivies dans les services hospitaliers de France. Nos résultats nous permettront de renseigner les situations de vulnérabilité, identifier les obstacles à la prise en charge et d’améliorer leur santé, leur qualité de vie et l’offre de soins qui leur est proposée.
Thèmes évoqués lors des entretiens et groupes de discussion :
A comme Antirétroviral (ARV)
Toutes les personnes présentes étaient sous traitement ARV (de 20 ans à 4 mois). La presque totalité avec une charge virale indétectable (37/38 copies) et la plupart ont attendu d’être en France pour prendre un traitement. Beaucoup ont mentionné le fait que dans leur pays d’origine les traitements n’étaient soit pas disponibles, soit obsolètes (AZT), soit que leur approvisionnement était irrégulier. Une personne sous traitement depuis 4 mois, avait encore une charge virale de 300 à 500 copies.
A comme Agression
Toutes ont déclaré avoir subi au moins des agressions verbales et beaucoup déclarent des agressions physiques, en France. Souvent cette violence est subie dans le cadre du travail sexuel.
D comme Discrimination
Elles évoquent toutes un niveau très important de discrimination dans leur pays d’origine et au sein même de leur communauté. Il n’y a pas vraiment de soutien les unes envers les autres. Les discriminations sont également vécues dans l’emploi pour celles qui recherchent un travail socialement reconnu (coiffure, ménage etc.)
E comme Emploi
Toutes les personnes rencontrées dénoncent à la fois l’accueil et l’inadaptation des services de Pôle Emploi (la plupart du temps elles sont orientées vers CAP EMPLOI… « Nous ne sommes pas des handicapées »).
Elles souhaitent accéder à des formations pour obtenir un emploi qui leur permette de quitter le travail du sexe.
E comme Etat civil
Le fait d’avoir des papiers d’identité non conformes à l’apparence physique est un facteur qui apporte des problèmes fréquents et récurrents, cela rend les relations avec l’administration tendues et difficiles. La carte vitale qui ne correspond pas non plus est un problème important.
Cela pourrait rejoindre le chapitre DISCRIMINATION, tant il est souvent fait référence aux mauvais accueils des administrations (Préfectures, CPAM, Hôpitaux) où intentionnellement les accueillants les appellent «MONSIEUR», ce qui est extrêmement violent.
F comme Filière
Sur Rouen, une filière de prostitution est mise en place pour faire venir des travailleuses du sexe séropositives. Elles présument qu’ainsi elles pourront demander des titres de séjour pour raison médicale.
H comme Hormonothérapie
Sur les 38 personnes rencontrées 4 seulement prennent des hormones actuellement !
Les autres en ont parfois pris dans leur jeunesse, et beaucoup ont commencé dès l’âge de 10 à 13 ans en dérobant les pilules contraceptives de leurs mères.
Pourquoi pas d’hormonothérapie ? Pour la majorité des personnes présentes, c’est l’impact de l’hormonothérapie féminisante sur l’érection : les clients souhaitent avoir des relations avec des femmes phalliques, ce qui a donc un effet néfaste sur le travail (un grand nombre des participantes étant aussi travailleuses du sexe en activité).
L comme Logement
Très grande difficulté d’obtenir un logement sûr avec un bail.
En effet, les bailleurs profitent de la précarité des personnes trans pour les loger sans contrat signé avec des loyers très élevés. L’absence de papiers d’identité en concordance avec leur genre et en l’absence de contrat de travail, les personnes trans sont acculées très souvent à exercer le travail du sexe, et même pour celles qui souhaiteraient en sortir.
M comme Médecins
Elles évoquent aussi des difficultés dans la prise en charge par des médecins non VIH (généraliste, cardiologue, dentiste, gynécologue…).
Tout comme pour les autres séropositifs, la discrimination frappe violemment les personnes trans qui sont rejetées par les dentistes.
Elles évoquent une mauvaise prise en charge dans les soins hors VIH (ex. un médecin qui n’ausculte pas les personnes). Elles attribuent cela au fait d’être migrantes et ne pas bien comprendre la langue.
O comme Origine
Sur les 38 personnes trans rencontrées, 2 étaient nées sur le sol français. Sur les 36 autres, 32 étaient originaires d’Amérique Centrale ou du Sud, les 4 autres d’Afrique.
P comme Prison/Police
Une personne trans a été incarcérée et a évoqué des problèmes de rupture dans les soins (traitement ARV), avec incarcération dans la prison pour homme (donc problèmes de violence). Souvent aussi des problèmes avec la police, de nombreuses arrestations en lien avec leurs travails et très peu de mise en sécurité par la police (bien au contraire).
T comme Travail du sexe
Une personne regrette que systématiquement le fait d’être une personne trans soit associé à la prostitution. Dans les faits, 1 seule sur les 38 rencontrées n’exerce pas ou n’a pas exercé cette activité. En même temps, celles qui ont quitté le travail du sexe regrettent cet amalgame systématique TRANS = PROSTITUEE.
V comme Vaginoplastie
En France, la vaginoplastie est possible seulement si les personnes trans prennent des hormones, parfois avec des doses élevées. Or, la grande majorité étant travailleuses du sexe, il est essentiel pour elle de conserver leur sexe de naissance.
Dans un des focus group, aucune des participantes n’est opérée et n’a fait de vaginoplastie. Par contre, dans l’autre focus group, 2 avaient réalisé une vaginoplastie : une dans son pays, en Colombie, et la seconde à Barcelone.
V comme VIH
L’infection par le VIH ne semble pas ajouter de problèmes insurmontables à la majorité des personnes rassemblées.
C’est un facteur qui n’a pas d’effet direct sur la qualité de vie des personnes. Mais pour la grande majorité, c’est pour traiter leur VIH que les personnes rencontrées ont décidé de venir en France, pour la qualité de la prise en charge.
Elles sont majoritairement satisfaites de la prise en charge et de la qualité des soins, en comparaison à ce qu’elles auraient pu avoir en restant dans leur pays d’origine.
Marion Mora & Michel Bourrelly, ingénieur.e.s d’étude Inserm & SESSTIM