Entretien avec une intervenante pair

Des ateliers couture par et pour les pairs à H.A.S., Marseille…
… aux 16èmes Rencontres européennes des travailleurs pauvres, Paris-Bruxelles.

J : Bonjour Vanessa, peux-tu nous parler de ce qui t’a motivée à proposer des ateliers couture bénévolement au sein du lieu où tu habites, H.A.S. (Habitat Alternatif Social), et plus largement de ce qui te motive à t’impliquer dans des projets collectifs ?

V : Moi tu sais j’aime bien m’intéresser aux choses même si je sais pas trop lire et écrire, je te le dis, tout rentre dans la tête, j’ai d’autres capacités tu vois. Je trouve que c’est vachement important de voir plus loin que son nombril et de faire avec les autres.

Moi le but premier c’est d’abord régaler les gens qui sont en détresse, de réveiller ou de révéler leurs envies, leurs potentiels. Ça peut être assez compliqué comme hyper fluide de mélanger les gens qui sont en détresse et les gens qui sont bien dans leur vie. C’est compliqué parce que tu as pas les mêmes codes. C’est fluide quand tout le monde s’intéresse aux autres quels que soient les codes, sans jugement mais avec curiosité pour les autres…

Ben bien sûr tu connais ma vie hein, tu sais j’ai fait dix ans de social, c’est de là que ça part aussi ! Aimer les gens et essayer de faire ensemble, chacun-e- avec ses savoirs et ses savoir-faire. La couture ça permet d’abord de joindre l’utile à l’agréable, ensuite c’est vite gratifiant, ça développe la créativité et ça peut devenir une vraie compétence pour aller travailler avec plein d’autres gens, en plus ça permet de faire des économies de deux manières : réparer plutôt que jeter (les vêtements qu’on jette sont une énorme source de pollution) ; et fabriquer son linge coûte beaucoup moi cher qu’acheter dans les magasins. Je préfère faire qu’aller acheter des vêtements pas chers (vu que je n’ai pas beaucoup de sous). D’ailleurs ces vêtements qui sont très peu chers, sont souvent fabriqués à des milliers de kilomètres dans des conditions inhumaines, parfois par des enfants exploités tu vois. Alors coudre et transmettre, ça a vachement plus de sens selon moi.

J : Comment se sont mis en place les ateliers ?

V : Quand je suis arrivée à H.A.S., c’était en août 2016, donc il a fallu le temps que je trouve mes marques. Les filles d’H.A.S. proposent qu’on fasse des sorties, et dans l’immeuble il y a une salle commune où se faisaient déjà d’autres ateliers comme écriture, danse… Moi j’ai tendance à vouloir tout le temps m’activer, pas de m’occuper du cul du voisin ça m’intéresse pas, mais d’essayer de faire du bien autour de moi, de créer des projets en commun, c’est ce qui m’intéresse le plus. Et comme je me suis rendue compte que dans ce dispositif, pas mal de personnes étaient assez isolées et dans des situations difficiles, j’ai voulu proposer un temps pour se retrouver, se connaître en faisant quelque chose de créatif ensemble. J’ai commencé avec des ateliers tricot, crochet, pour que ce soit facile niveau matériel à gérer. Les éducatrices ont trouvé que c’était super sympa de faire ça au sein de H.A.S, surtout Claire Lacombe, là où je vis. On l’a fait donc sur 6 mois. Et dans cet atelier il a émergé que les filles elles avaient envie de faire de la couture.

En couture je suis autodidacte mais j’avais des machines à coudre et je savais bien m’en servir, alors je me suis lancée.

On a cherché des dons de matériels et des financements pour pouvoir lancer cet atelier avec des machines à coudre, etc…

J’ai eu beaucoup de soutien, du soutien moral et au niveau écriture, d’ailleurs toi et Nouvelle Aube vous m’avez super aidée à plein de niveaux quand j’en avais besoin, parce que c’est vrai que moi pour mettre tout en place c’est difficile. Sylvie et Céline d’H.A.S. étaient super ouvertes et m’ont hyper soutenue. Ça s’est fait en plusieurs étapes, on a fait le budget, on l’a soumis au C.A. de H.A.S. qui nous a invitées un soir pour expliquer le projet. J’étais avec les deux stagiaires de Claire Lacombe que tu connais, elles passent le diplôme d’éducatrice spécialisée.

Je peux dire que je les ai pas mal accaparées ces deux filles (rires), elles m’ont soutenue et jamais lâchée, et pourtant j’ai eu des périodes difficiles parce qu’on avait les accords mais pas encore les financements. Pour moi le projet était long à démarrer dans l’attente des nouvelles machines.

Depuis le 5 janvier 2018, tous les quinze jours on fait l’atelier, et il y vient du monde, parfois on est 3, d’autres fois 8, bref y’a pas d’inscription, chacun-e- vient quand c’est son envie. Je propose toujours quelque chose à apprendre et une réalisation à faire en commun, mais tout le monde est libre. C’est possible de venir pour repriser ses vêtements, pour créer du linge, des pochettes… Bref en fonction des tissus qu’on a à donner, des formats des morceaux, chacun-e- choisit. C’est très intéressant selon moi de pas imposer un genre de cours à chaque séance, je m’adapte et j’aide tout le monde, mais pas en faisant à la place hein, tout le monde doit apprendre à placer sa bobine, à faire le parcours du fil, le calage dans le chas de l’aiguille, bref je montre et remontre sans soucis, mais je démonte pour que la personne qui apprend devienne autonome d’un bout à l’autre. Des fois c’est galère, tout se bloque, surtout avec les surjeteuses qui sont un peu plus compliquées à utiliser… Et faut savoir démêler, décoincer, réparer. Ça apprend la patience aussi, et moi je suis du genre impatiente alors ça me fait pas de mal (rires). Et ça apprend à gérer les contraintes, c’est comme le temps d’installation des machines, le rangement et le nettoyage du lieu, ça fait partie du tout. Personnellement ça m’apprend à transmettre, je prends du temps pour préparer les ateliers, pour apprendre de nouvelles techniques. Pourtant je suis pas diplômée et je donne des cours de couture, alors ça c’est le top, ça c’est trop rigolo !

Je suis bénévole, rien qui ne m’appartient sinon de donner des cours, c’est tout, je touche pas d’argent, je suis pas défrayée c’est juste le plaisir de le faire, c’est donner mon savoir-faire c’est tout. Les financements d’H.A.S. puis de la Fondation Abbé Pierre ont servi à acheter des machines et du matériel, ce qui a été super de leur part comme signe de confiance et soutien hyper concret. Maintenant on a quatre machines, pas mal de tissu encore. Aussi je me forme pour faire évoluer l’atelier, j’ai donc acheté un coffret de patronage qui te permet de faire des patrons « en deux deux » et réaliser après tes vêtements mais il faut que je le maîtrise avant de le proposer.

J : L’atelier est ouvert à tout public ?

V : Oui mais je veux qu’il profite principalement à des personnes qui n’ont pas de moyens, le but c’est de se rencontrer, se motiver ensemble. Face à des situations parfois difficiles, c’est une bouffée d’air quand on fait autre chose que de tourner mille fois ses problèmes dans sa tête. Par contre, par rapport aux autres habitantes de l’immeuble il faut laisser le temps aux gens de pouvoir se manifester, de pouvoir se libérer et de s’enlever le marasme que tu as dans la tête tu vois pour être un peu plus libre, c’est là où je trouve que c’est vachement important humainement quoi ! C’est là où il est l’atelier. On prend les gens où ils sont et puis on avance tout doucement et puis sûrement et pas brusquer ça sert à rien.

Et puis il est pas à moi ce projet, je leur ai dit si un jour je suis fatiguée, que j’ai plus envie de le faire, vous avez le matériel, moi je vous apprends toutes les bases. Si un jour je peux plus le faire, parce que je peux avoir des moments de faiblesse comme tout le monde, des moments où j’ai pas envie, où je suis fatiguée. J’ai remarqué pour l’atelier tricot que quand je me sentais pas de le faire ben y a personne qui le reprenait par la suite et c’est vraiment dommage. Et sur l’atelier couture si je m’arrête y a personne qui va le reprendre quoi ! Ça m’embête un peu quoi c’est pour ça que j’aimerais qu’il y ait des gens compétents qui puissent le faire évoluer et puis si un jour je suis plus là qu’ils puissent le continuer. Me dire que j’ai pas monté un truc comme ça pour qu’un jour il coule quoi, surtout que c’est intéressant, toucher le tissu, identifier et puis créer. C’est mon petit bébé, mais je serais ravie que d’autres aient envie de l’animer car comme tout le monde je ne suis pas Superwoman hein ! Faut pas croire !

J : Si si tu as bien un p’tit côté Wonderwoman, sans les supers pouvoirs mais avec la supermotiv, du coup c’est bien plus remarquable que des supers pouvoirs !

V : Ecoute-moi si je dois partir à Tombouctou pour aller défendre un projet qui est très intéressant au niveau national ou international pourquoi pas. Cette année, je suis allée à Bruxelles, aux 16èmes Rencontres européennes sur les travailleurs pauvres et donc avec des travailleurs pauvres aussi invités à faire remonter des retours, expertises, propositions…

J : Peux-tu nous parler de ces Rencontres?

V : Ça s’est fait en 2 temps, un temps pour travailler avec la Délégation française (à Paris) et un temps pour présenter nos retours à Bruxelles. A Paris il a fallu qu’on trouve un sujet pour identifier ce que c’était qu’un travailleur pauvre en 24h c’était chaud. Le premier jour quand on est arrivées, on a travaillé dessus, impossible de déverrouiller les codes pas communs, impossible de trouver un sujet, impossible de trouver quelque chose qui pouvait se rapporter aux travailleurs pauvres, même si ça me concerne directement, et puis bon la soirée s’est passée, je suis allée voir un ami, sur le chemin on a eu le déclic avec Dominique, faire une pièce de théâtre en proposant aux gens ce que c’était qu’un travailleur pauvre dans un couple en fait. Un couple de travailleurs pauvres. Ce qu’il en est sorti c’est qu’on a fait des dessins de divertissements et de ce qu’on paie dans le mois quoi. Je veux dire quand tu reçois ta paye tu paies le loyer, tu paies les fournitures scolaires des enfants, tu paies les vêtements, tu paies la bouffe, tu paies l’EDF, le téléphone, l’essence, tu paies ceci, tu paies cela. TU PAIES tout ce qui est fixe et t’as plus de sous ou presque…

Donc le but c’était de montrer le décalage entre ce qu’on est payé et ce qu’on voudrait faire dans la vie.

Comme on est 2 femmes, on s’est fait identifier comme couple de lesbiennes, ce qui est pareil que ce soit un couple hétéro ou homo les dépenses minimum !

J : Donc vous avez monté un genre de courte pièce de théâtre ?

V : Tout à fait. Dans ce sketch on a caricaturé, pour aussi jouer sur les clichés et faire rire. Le rire ça permet d’être entendu, de marquer avec un sujet qui est grave. Quand on fait que dénoncer et se plaindre en étant énervé ça peut faire que les gens en face sont moins ouverts à entendre vraiment la situation des travailleurs pauvres (dont j’ai toujours fait partie).

Donc niveau rôle j’étais « le mec » qui allait travailler et ramenait l’argent à la maison et que ma femme elle reste à la maison et elle n’a pas d’argent, qu’on vit qu’avec un salaire, qu’on a des enfants. Avec ce que je touchais en salaire il fallait tout payer et divertir la famille, ce qui n’était pas possible. C’était très rigolo ce sketch. Bon d’abord il était écrit qu’en anglais parce que y avait que des gens qui parlait en anglais, y avait que notre délégation qui parlait français et un petit peu les Espagnols, et les Belges bien entendu. Parce qu’il y avait tous les pays de l’Europe, donc y avait 27 délégations qui se sont déplacées, du monde hein ! En faisant ce sketch on a montré aux gens ce que c’était des travailleurs pauvres. Moi je suis arrivée j’avais un tablier de menuisier, c’était rigolo et j’avais une liasse de billets de Monopoly, et je montrais aux gens que j’avais touché ma paie, que j’avais de l’argent. Et moi de suite je m’enflammais, je disais « on a de l’argent », et ma femme me rappelait à l’ordre qu’y avait le loyer à payer, qu’y avait l’électricité à payer, qu’y a le réfrigérateur à remplir, qu’on peut pas sortir, que y a les fournitures scolaires je veux dire.

Le sketch il a duré 4 minutes tu vois mais franchement c’était super passionnant, c’était rigolo.

J : Et par rapport au retour du public ?

V : Ils nous ont demandé de refaire notre sketch, y avait une responsable de ceux qui organisaient le colloque, quand elle a vu notre sketch, elle a demandé à la grande délégation qu’on le fasse devant plus de 200 personnes ! Donc le sketch il a duré plus longtemps parce qu’on a pris le temps, on a montré des panneaux avec des dessins et tout et les gens ils étaient… une ovation on a eu ! C’est pas compliqué, les gens ils se sont levés, ils nous ont applaudies c’était vraiment génial. Dans le même temps on avait installé un tableau avec plein d’informations sur la situation des travailleurs en France. En fait c’était une exposition qu’on avait fait dans le couloir des délégations à Bruxelles, et chaque pays avait un grand panneau.

J : As-tu eu l’impression qu’il y avait des retours récurrents des pays ?

V : Ben en France comme partout, si certains pensaient moins à s’en mettre toujours plus dans les poches y aurait moins de pauvres. Oui ça c’était un truc qui était récurrent. L’écart entre les ultras riches, l’augmentation de bénéfices dans le même temps qu’augmente le nombre de gens qui ont le minimum vital.

A Paris ils nous ont demandé d’avoir une phrase type, une phrase choc, alors moi j’avais fait celle-là « Tout travail mérite une vie décente ! ».  Et puis pendant la représentation sur Bruxelles, ils les ont tirées en photo, ils nous ont fait prendre en photo avec notre phrase et on est allés sur une place de Bruxelles et y a eu des journalistes qui sont venus nous filmer et donc on était tous côte-à-côte, toutes les délégations, et on avait devant nous notre photo et notre slogan en-dessous et ils nous ont pris en photo. Bon c’est dommage j’ai pas pu avoir le journal de là-bas, mais ça aurait été cool de réussir à le retrouver. Après on est allés manger dans un grand restaurant. Mais j’aurais préféré à la rigueur manger un sandwich et donner l’argent qu’on dépense pour ces trucs-là aux pauvres que d’en faire tout ce pataquès.

J : Etais-tu déjà allée sur des colloques ?

V : Non pas ce genre de truc.

J : Et du coup cette question-là du contexte, de l’accueil ?

V : Ah moi j’ai trouvé ça sympa mais ça pose la question du miroir aux alouettes comme on dit ! C’était la bonne face et l’autre face tu vois on sait pour l’instant…Tu vois ce que je veux te dire ? Tu arrives à comprendre le miroir aux alouettes ?

Au final qu’est-ce qui est fait dans le présent face à toute cette misère ? C’est bien, moi j’ai trouvé ça intéressant de parler des travailleurs pauvres, de ce qui se fait dans les pays mais est-ce que ça va porter ses fruits par la suite.

Une délégation s’est déplacée au Parlement européen suite à ces Rencontres, qu’est-ce que ça a donné ? Est-ce que ça a abouti à quelque chose ? J’ai envie de savoir… Est-ce que ça a été débattu au Parlement ? Des grands rassemblements comme ça je veux bien, c’est bien ça fait sortir, ça fait voir du monde, ça te donne des réflexions mais après ça apporte quoi ? Y’a quoi comme revendications derrière, c’est pour ça je te dis ça peut être le miroir aux alouettes si ça a pas de vraie influence sur les décisions qui se prennent. J’voudrais un retour aux participants et à la population ! En plus y a des députés qui se sont déplacés pendant ce colloque.

(…) Dominique est allée plusieurs fois à différents colloques européens ces dernières années. T’as vu quand y a eu la loi anti-gaspillage sur la nourriture, qui fait que des supermarchés donnent plutôt que jeter, ben elle était allée à des temps de réflexions pour réclamer ça tu vois ! Et c’est un sacré retour quand ça pousse à faire bouger et à créer des lois. Alors par rapport aux Rencontres sur les travailleurs pauvres peut-être dans deux trois ans je verrai des lois changer, mais là pour l’instant on n’a rien. Mais avant ça j’aime bien avoir un petit retour, ce qui s’est dit, ce qu’on a pu amener dans le travail, si y a eu une évolution, si y a pas eu d’évolution, s’ils ont entériné une loi…

Merci à Vanessa Medina

Interview et montage, Jihane El Meddeb et Susanne Thill

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