Face au constat de manque de lieux et de liens de proximité en psychiatrie, à la sectorisation des soins, aux diversités des approches liées à la santé mentale, la question de l’inclusion de travailleurs pairs et médiateurs de santé est centrale pour les personnes atteintes par des troubles psychiatriques. Qu’il s’agisse de pathologies ou de troubles « passagers », ce peut être « empêchant » pour la formulation et la réalisation de leurs projets. De fait dans le monde d’aujourd’hui, divulguer ses troubles est un frein pour l’accès à l’emploi et au logement. Certains a priori et blocages ont la dent dure…
C’est pourquoi nous avons souhaité interviewer Christophe Rameaux, travailleur pair à Un chez soi d’abord. Il est aussi un des fondateurs du Groupe d’Entendeurs de Voix à Marseille et de la plateforme ESPER Pro, Espoir Soutien Plaidoyer Empowerment Responsabilisation.
« Je suis entendeur de voix et nous avons créé en 2014 un groupe à Marseille avec Caroline Gianinazzi et Quentin Varenne, médiateurs en santé qui travaillaient à MARSS (Mouvement et Action pour le Rétablissement Sanitaire et Social). Thomas Bosetti, psychiatre, était aussi des nôtres. Thomas Bosetti travaille depuis plusieurs années au développement du projet AiLSi (Alternative à l’incarcération par le Logement et le Suivi intensif) pour des personnes déférées en comparution immédiate vivant avec des troubles psychiatriques sévères et sans domicile.
C’est après une conférence de Vincent Demassiet, président actuel du REV (Réseau français des Entendeurs de Voix) que l’idée a pris forme concrètement quant à la création d’un groupe à Marseille.
Au départ notre groupe d’entendeurs de voix se réunissait au Théâtre de l’Œuvre puis à la Cité des associations et depuis novembre 2020, c’est au local de l’association ESPER Pro (association loi 1901 de médiateurs de santé pairs en santé mentale) que nous nous voyons tous les 15 jours.
Ces temps permettent d’échanger sur les formes que prennent les voix, leurs régularités, leurs caractéristiques. Il s’agit de se respecter, ne pas convaincre et ne pas juger. Nous cherchons et trouvons ensemble des stratégies pour vivre avec les voix et s’organiser. Qui veut est libre de considérer qu’il est télépathe sans que les autres ne soient là à ce moment pour en juger…
Le fait de pouvoir parler de ses voix change beaucoup la dynamique des personnes concernées. Ça a changé la mienne.
L’association ESPER Pro porte la plateforme territoriale de pairs ressources PACA qui compte 4 personnes : Yves, Mathieu, Nathalie et moi. Nous proposons d’accompagner les équipes sociales, sanitaires et médico-sociales à l’intégration de travailleurs pairs (formation et supervision des équipes et futurs travailleurs pairs, accompagnements orientés, rétablissement des personnes concernées en fonction des besoins des équipes, etc.). Nous proposons des modules, étant nous-mêmes des auto-supports passés par des parcours de soin et de vie qui nous ont amenés là où nous sommes.
Partout encore tout ce qui a trait à la santé mentale entraîne une stigmatisation. J’ai réalisé à 33 ans, chez mes parents, qu’il me fallait du soin car j’entendais mes parents de l’autre côté du mur mais ils n’étaient pas là… Il n’y avait personne… J’ai réalisé… Réalisé et suis allé consulté à La Conception dans le service du professeur Lançon à Marseille. S’en est suivie une batterie d’examens. Le diagnostic est tombé et je l’ai à la fois mal pris dans le sens où ça me renvoyait à quelque chose de très négatif mais je l’ai bien pris car je savais qu’il y avait quelque chose…
L’annonce du diagnostic m’était nécessaire dans ma posture de scientifique, je voulais entendre et le médecin savait ça… J’étais biologiste ; à l’époque, entendre des voix me laissait penser que je n’étais pas psychotique.
J’ai alors accepté un traitement rapidement qui m’a stabilisé en 1 mois, c’est-à-dire qui a procuré l’arrêt des hallucinations sonores et m’a redonné l’envie de sortir, de travailler. Car ces voix m’isolaient.
A cette époque je travaillais pour de grosses entreprises pour lesquelles tout ce qui est lié à la psy est rédhibitoire à différents niveaux. De l’inquiétude au manque de confiance en passant par la peur du travail mal fait par des gens instables, tout est présent en termes de préjugés…
Dans ces métiers, prouver qu’on a de la rigueur est indispensable, aussi ne pas montrer de coups de fatigue, de faiblesses, de sensibilité… Ce travail manquait pour moi de relation à l’autre et m’enfermait.
Je sentais bien que la Direction n’aurait pas accueilli ça, je veux dire ma réalité.
C’est qu’ils craignent les arrêts de travail. Je me souviens d’un entretien où l’on m’a dit « Je ne fais d’entretiens d’embauche qu’avec des hommes car au moins vous ne risquez pas d’être enceinte. » Je vous laisse imaginer les caricatures et la stigmatisation face au mot psychiatrie. La méconnaissance règne et l’utilisation du langage à mauvais escient n’aide en rien. En ce moment on entend parler de bipolarité en tous sens.
Pour ma part, ayant maintenant un niveau bac+3 en psycho, mes connaissances et ma capacité de discernement se sont affinées. Je poserais peut-être un diagnostic différent de celui que mon psychiatre pose sur moi. Pour lui il s’agirait de schizophrénie paranoïde alors que je pencherais pour un trouble schizo-affectif.
Mais en psychiatrie les diagnostics ont une « variabilité inter juge ». C’est-à-dire que vous avez 1 « chance » sur 3 d’avoir un diagnostic différent posé selon le psychiatre rencontré.
Aujourd’hui je suis moins attaché à la nomination précise dont j’avais peut-être besoin à un moment pour qualifier avec précision ce que j’avais à gérer. Ça réside ailleurs.
A l’époque où je sentais qu’il me fallait découvrir d’autres voies que la biologie, une psychologue du service du professeur Lançon m’a orienté vers Un chez soi d’abord pour un stage de quinze jours… J’y suis resté.
Je me suis rendu compte que là je pouvais être pleinement « Qui je suis ». Ce qui était une faiblesse à cacher est devenu une force car le partage de vécu et de savoirs liés au vécu sont mises à profit. Partager avec des pairs pour faire évoluer les mentalités, faire reculer les préjugés et procurer des connaissances s’appuyant sur l’expérience.
Pour moi quelque chose d’important s’est joué de l’ordre du soin, du lien, vers une vie meilleure et faisant sens. J’ai été comme surpris par tout ça sortant de mes éprouvettes et boites de pétri.
Aujourd’hui je sais qu’1 personne sur 5 est ou sera concernée directement dans sa vie par des troubles psy…
Troubles psy qui demandent souvent de faire un « coming out » quand on veut militer pour du changement de perception générale car dans l’imaginaire collectif c’est encore empli de négativité. La psychiatrie est souvent associée aux tueurs violents et dans nos sociétés hyper-rationalistes et normatives la place pour ce que la norme ne saisit pas est infime.
Le rejet et la peur résident dans la méconnaissance. La poésie, la culture, la subjectivité et l’irrationnel ont peu de place.
Une partie de ma génération (j’ai 42 ans) et celles qui viennent veulent des sociétés moins excluantes que celles existantes.
La plateforme de pair-aidance que nous mettons en place, portée par ESPER Pro, va dans ce sens.
Nous plébiscitons l’acceptation des diversités, la tolérance et l’empathie. Nous souhaitons restaurer de l’équité là où les stigmatisations prennent beaucoup de place. Les injustices sont évidentes en bien des endroits, et concernant les questions d’autonomie, de santé mentale, de période de crise, ce n’est pas audible que des personnes se retrouvent à la rue suite à leurs problématiques psychiatriques.
Chez Un chez soi d’abord, nous n’avons ni toutes les places ni toutes les solutions mais nous travaillons tels des enzymes… 100 personnes sont hébergées au sein d’appartements diffus. Après les arrivées, les personnes sont rencontrées lors d’entretiens et de temps informels chaque semaine.
Le projet part du principe que l’accompagnement à habiter peut exister dès lors que les personnes ont accès à un logement sur une période suffisamment longue pour ne pas avoir toujours à être dans la préoccupation de l’après. Beaucoup de personnes venant de la vie en rue ont besoin de temps pour gérer leur logement, des factures au ménage, en passant par les parcours droit commun, soin, etc… La question d’habiter renvoie aussi à s’organiser sur de multiples questions pratiques et budgétaires, mais aussi à s’habiter soi-même pour trouver son équilibre dans le logement. Sans accompagnement des personnes ayant des troubles psychologiques, l’arrivée de la rue dans un logement peut être facteur d’isolement, de problématiques économiques nouvelles, de perte de repères et/ou de reproduction des conditions de vie en rue dans le logement, de tension avec les voisins, etc…
A Un chez soi d’abord les accompagnements proposés sont illimités dans le temps et dédiés au maintien dans le logement. Une recherche randomisée sur 2 années montre que 85% des personnes accompagnées se maintiennent en logement. Lorsque les conditions sont réunies il est possible de glisser le bail pour devenir locataire en titre. Avec le temps, les besoins sont moins importants et les rencontres plus espacées (on passe d’une rencontre hebdomadaire à une rencontre tous les quinze jours).
Dans le prolongement d’Un chez soi d’abord, Livia, psychologue, et Sonia, chargée de mission, se sont formées en s’inspirant du modèle Individual Placement Support. Après un mois de formation passé aux States s’est monté l’association Working First 13 car l’accès à l’emploi est une grande demande des personnes hébergées dans les dispositifs Un chez soi d’abord. J’ai travaillé sur Working First.
L’accompagnement vers l’emploi consiste à environ 70% impartis au démarchage et 30% d’accompagnement sur la prépa de C.V., lettre de motivation, construction d’un projet pro… Une personne a cette année suivi une formation et est devenue auxiliaire vétérinaire…
Souvent il s’agit de bien considérer son propre potentiel et pour ceux qui ont l’AAH (Allocation Adulte Handicapé), ça demande de dépasser la question du salaire car s’il est bas les personnes ne se sentent pas valorisées car elles ne gagnent pas plus que ce que leur octroie l’AAH.
Nous travaillons en réseau et sommes proches de MARSS, de la REHAB (service psycho-social du professer Lançon).
Chez Un chez soi, un médecin peut faire le ménage et un travailleur pair parler de traitement, ça n’enlève rien aux compétences et responsabilités définies mais ça permet de cogérer sans principe hiérarchique. L’horizontalité prime, la considération se doit donc d’être égale même si chacun apporte son professionnalisme.
La place de l’un n’empêche pas son identique droit à la parole là où, à d’autres endroits, les travailleurs pairs sont envoyés « en première ligne » face à des situations ingérables, sans stratégies permettant de calmer, temporiser, accompagner des personnes en crise, sourdes à tout dialogue, etc…
Les travailleurs pairs, si compétents soient-ils, ne peuvent pas être seulement un rempart quand personne n’a de solution. Face à des comportements complexes, chacun a besoin de pouvoir construire, échanger, prendre du recul et réfléchir ensemble (avec les personnes concernées) pour ne pas laisser les plus éloignées de la communication normée sur le carreau, à la rue et en souffrance psychologique. »