Directives anticipées & psychiatrie

Le degré d’implication d’un patient, ses retours sur ses hospitalisations, traitements et perceptions du soin prennent aujourd’hui lentement (mais sûrement) une place plus importante dans le parcours de soin, ce qui rééquilibre un rapport trop souvent vécu comme « unilatéral », notamment par les patients passant par un suivi lié à la santé mentale. Les Directives Anticipées incitatives en Psychiatrie (DAiP) participent à cette évolution. Nous avons souhaité partager avec vous cet entretien avec un travailleur pair de l’équipe MARSS (Mouvement et Action pour le Rétablissement Social et Sanitaire, à Marseille) et co-fondateur du CoFoR1 : il y explique comment la réflexion d’un petit groupe qui est devenu grand a mené à une proposition de texte de loi dédié aux DAiP, actuellement sur la bonne voie pour être promulgué.

« En 2017 au Théâtre de l’Œuvre on dédiait des séances au plan de rétablissement de personnes concernées. Des personnes de la rue et des assos comme les Nomades Célestes2 venaient. A été introduite la question des directives anticipées en psychiatrie avec un collègue Julien Grard, chercheur dans l’équipe MARSS.

En 2018 le montage du CoFoR a assis cette question du rétablissement des personnes concernées. Nous avons alors créé un module de réflexion commune avec les personnes concernées par la psychiatrie, que nous avons nommé « Plan de rétablissement et directives anticipées en psychiatrie ». Ce module (parmi les 4 au total proposés) est dédié à étoffer nos échanges et entamer l’écriture d’un outil à partir de différentes lois choisies avec d’autres médiateurs de santé et de juristes, qui nous a permis de répondre à un appel à projet national qui a débouché sur un travail commun de rédaction des Directives Anticipées incitatives en Psychiatries (DAiP) dans 3 villes.

Comme point de départ, je pourrais citer une phrase d’une poétesse, Audrey Lord « On ne détruit pas la maison du maître avec les outils du maître ». Nous sommes donc partis de là en se disant que pour changer les pratiques en psychiatrie nous n’allions pas aborder une pratique autour de la psychiatrie elle-même ou des pratiques en médecine, mais nous appuyer sur l’axe du droit.
Moi-même ayant été hospitalisé sous contrainte et pratiquant des contraintes dans le cadre de nos missions à l’équipe EMPP-MARSS (Equipe Mobile Précarité Psychiatrie), j’ai pu constater des zones de non-droit lors de ces pratiques de privation de liberté. La question du droit à intervenir sur sa propre situation, le droit de participer à l’expertise de sa propre situation est souvent inexistant ou relayé en second plan. Il s’agissait d’introduire un échange et une construction qui donnaient plus de place au patient. Partant de ce constat-là nous avons souhaité nous baser sur la question du droit selon les outils de santé publique déjà existants.

Nous avons créé cet outil pour lutter contre les mesures contraintes et l’isolement, en évitant ou limitant les dommages répétés que créent ces situations. Il s’agissait de faire une grosse recherche dans les textes existants.
Nous avons rassemblé des thèmes : choix du médecin, du traitement, personne de confiance… La loi de 2002 n’a pas pleinement joué son rôle quant aux directives anticipées, qui sont restées surtout dédiées à la fin de vie.

Ce travail a été mené par des travailleurs pairs, des chercheurs, des juristes, des enquêteurs dédiés à faire remonter des idées, des avis de personnes concernées, afin de rédiger les DAiP.
Nous avons donc retravaillé avec des médiateurs de santé cet « outil ». L’étude est aujourd’hui terminée. D’ici mars 2021 nous aurons les résultats définitifs de l’étude qui débouchera sur une utilisation nationale de ces DAiP une fois celles-ci introduites en termes d’obligation légale. La rédaction de ces DAiP a démarré grâce à un petit groupe de réflexion et la manière dont la question a pris de l’ampleur et a suscité l’intérêt mène aujourd’hui à un vrai outil qui pourrait être bientôt proposé et utilisé par l’AP-HM3 mais aussi par les réseaux de soins spécialisés.

Aussi sont impliqués le CGLPL (Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté), l’équipe de recherche sur les DAiP, ainsi que des partenaires associatifs (CAPDROIT), suite à la QPC4 du 19 juin 2020 sur la contention et l’isolement en milieu psychiatrique. Cette QPC a pour but de faire évoluer les mentalités et la zone d’ouverture au changement qui ont permis d’avancer quant à l’écoute de notre proposition.
1er pas au niveau légal et législatif qui va se faire en fin d’année 2020, ce qui est stimulant et encourageant sur un changement par la loi des pratiques hospitalières actuelles. Le 31 décembre une proposition finale sera présentée au Parlement pour une promulgation de nouvelles lois en ce sens.
A Lyon les DAiP sont déjà intégrées dans l’ensemble des dossiers patients. A Marseille les DAiP sont disponibles sur le logiciel Cimaise à l’AP-HM, dans un travail de partenariat avec le DIM5. Tous les patients peuvent ainsi faire la demande de remplir leurs Directives Anticipées incitatives en Psychiatrie, même si les équipes selon les services ne sont pas toutes sensibilisées à l’outil d’une part (mais des formations sont prévues, pour l’instant gelées suite à la COVID-19). D’autre part le temps à impartir avec les patients n’est pas toujours pris car le temps manque cruellement en hôpital.

Nos mots d’ordre : formation, plaidoyer, échange avec les équipes, sensibilisation.
Début 2021 : nouvelle QPC demandée et vote des DAiP !

Aujourd’hui sont impliquées différentes communautés et instances telles des travailleurs pairs, des chercheurs, des juristes, des médecins, des patients, la Haute Autorité de Santé, etc.
Cette évolution s’est construite de façon transversale, ce qui est assez rare et motivant pour améliorer l’accès au soin et la qualité du soin. »

Interview de Nicolas Ordener par Jihane El Meddeb.

  1. Centre de Formation au Rétablissement, situé au sein de l’IRTS-PACA à Marseille, qui propose une offre de formation et d’auto-support menée par des personnes concernées.
  2. Groupe d’Entraide Mutuelle à Marseille.
  3. Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille.
  4. La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) permet à tout justiciable de contester la constitutionnalité d’une disposition législative à l’occasion d’un procès devant une juridiction administrative ou judiciaire, lorsqu’il estime qu’un texte porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
  5. Département d’Information Médicale.
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