Dans La cité des enfants perdus, Cranck, ce personnage dépeint comme une personne affreuse et étrange et qui cherche à glaner les rêves des gosses pour vieillir moins vite, il y a une scène qui me fascine à la fin. Quand il revoit en permanence les mêmes images, les mêmes sons, la scène s’accélère frénétiquement comme un puissant tourbillon répété jusqu’à la crise.
Cette scène me rappelle un vécu, avant même de devenir épileptique. Certaines crises d’angoisse ont provoqué ces ressentis. Être coincée dans mon cerveau qui tourne en rond sur lui-même. Les phrases, les mots accompagnés d’images incompréhensibles dans un flot de pensées incessantes et inexplicables qui donnent l’impression d’un disque rayé ou d’une ancienne cassette coincée dans le lecteur qui se lirait comme une boucle. Les boucles, c’est un souvenir de mon cerveau angoissé.

J’ai fait de mes angoisses une boîte à outils pour gérer la situation, les situations dans lesquelles je me mets souvent. Jusqu’à il y a quelques temps, je tentais d’avoir une approche détachée de mes différents handicaps… Mais ces derniers temps la situation m’a échappée.
Je me prénomme Joana. Je suis une femme trans de 35 ans. Dessinatrice, peintre et créatrice d’objets étranges, j’écris beaucoup aussi. Je me suis mise à dessiner en ergothérapie il y a quelques années lors d’un premier séjour dans un centre psychiatrique et j’ai trouvé un moyen de parler par le dessin. J’ai toujours dessiné, même dans l’enfance, les premiers dessins que j’ai pu faire étaient des reproductions. Une anecdote. Une reproduction qui m’avait beaucoup plu de faire était la reproduction d’un tableau de Van Gogh, je vais prendre deux minutes pour trouver le nom du tableau… il s’appelle Port de Cassis. Ça m’avait pris des heures voire plusieurs jours pour faire cette reproduction, au feutre ultra bas de gamme… pointillé par pointillé… tiret par tiret… un travail hallucinant… je sais même pas ce qui a pu me péter de faire ce dessin… je devais avoir 9 ou 10 ans.

Actuellement je vis à Marseille ou plutôt j’ai vécu (et j’y revivrai probablement) … car là, tout de suite maintenant, je vis au Revest-Les-Eaux, près de Toulon, où je fais un séjour dans une clinique psychiatrique en ce moment même pour y faire un sevrage de la cocaïne. Ensuite je dois réfléchir posément où le futur me portera. Marseille… périphéries… ailleurs… je ne sais pas encore et j’aurai le temps pour y réfléchir.
Il était prévu que soit publiée la retranscription d’un entretien audio que j’avais fait, mais à mon sens, évoquer la situation que je traverse fait plus sens pour moi aujourd’hui en écrivant moi-même. Je pense que ce témoignage peut coller à une forme de « ligne éditoriale » du zine en tant que témoignage et peut-être réduction des risques… peut-être… pas sûr… Aussi je me voyais mal ne pas ajouter un mot sur ces évènements très récents, qui, au final, ont touché tout mon entourage… et plus encore.
Si je « visibilise » cette situation, c’est pour plusieurs raisons. Déjà, j’ai eu la CHANCE d’avoir un soutien hors du commun de la part de beaucoup de personnes, de la part de mes AmiEs, mais aussi de la part de personnes qui sont venues m’aider pour la plupart faisant partie de la communauté queer de Marseille. Mais aussi de l’aide venant de personnes travaillant dans différents organismes de soutien social, et qui ont fusionné pour m’aider. Je ne citerai pas de noms par soucis de respect de la vie privée, mais ces personnes qui m’ont apportée de l’aide travaillent pour le CAARUD le Tipi, l’association Nouvelle Aube et le CSAPA Casanova, et au final, certaines personnes se sont investies personnellement pour essayer de trouver des solutions adaptées à mon parcours. Aussi, j’aimerai faire passer des remerciements. Remerciements aux copainEs queer car il y a eu une cagnotte de mise en place pour m’aider à surmonter mes problèmes financiers, à un moment où ma situation d’endettement était critique. Merci à vous qui me lirez peut-être, c’est un bel exemple de solidarité et j’espère profondément que ce type d’initiative pourra se reproduire pour d’autres personnes.

Il y a eu un moment où j’ai chuté et si je n’avais pas été aidée, je ne sais pas si je m’en serais aussi bien sortie. Je vais essayer de faire le point sur ce qu’il s’est passé pour moi car malgré tout, j’ai conscience que ma situation à fait quelque peu du bruit car j’ai une certaine facilité pour crier, alors que je coule moi-même le bateau. Je vais essayer un parallèle vaseux : Celui qui coule son bateau le fait toujours pour éviter l’attaque du bateau inquiétant d’en face (arf merde… inspiration d’influence pas ouf… soupir…). Avant toute entrée en matière, je vais préciser que mon texte pourra s’avérer être difficile à lire.
J’ai attaqué les consommations il y a environ 17 ans, cocaïne injectée et héroïne… mais j’ai un peu touché à tout… En 2017, j’apprends que je porte trois méningiomes intracrâniens… Des tumeurs quoi. Je suis opérée, deux fois car la première sans succès et fait un AVC (accident vasculaire cérébral) en salle de réveil qui me laissera hémiplégique du côté gauche… J’en ressors épileptique. Malgré tout j’ai réussi un sevrage et je n’ai plus consommé pendant presque quatre ans (vu que j’ai un sérieux problème espace-temps je vais plutôt dire entre trois à cinq ans) et là je cherche à refaire la même.
La rechute s’est faite après une année Covid et accumulant des problèmes perso. Je croise actuellement des personnes pour qui le chemin est similaire au mien. Et si j’essaye d’en parler, c’est que je crois important de stopper la stigmatisation qui plane sur les consommateurs. Souvent c’est pour beaucoup de personnes un moyen d’évasion face à des violences que nous prodigue la société et la façon dont elle conditionne les normes de pensées chez une majorité… Nous sommes beaucoup confrontés systématiquement à des violences. Violences de classes, transphobie, racisme, misogynie ou transmisogynie, violences à l’école, et de la part des professeurs AUSSI, bref rien ne sert de lister… tout l’monde sait. Pour ma part, je ne vais pas aborder les raisons (on est pas chez le psy hé !) mais pour faire bref, j’ai un vécu difficile, en outre j’ai essayé de m’évader (j’aime bien faire l’intello avec un vocabulaire de bourge… c’est pour la couper à certainEs jugeant que j’peux croiser dans la vie… ou mécanisme de protection de mon cerveau… jsaipatrô…).
Mais s’évader aura été pour moi sans succès.
Je me traîne des pathos qui ont favorisé la reprise d’hallucinations en état de manque et aujourd’hui j’ai réattaqué les neuroleptiques.
Je passe d’un sujet à l’autre, c’est qu’il y aurait beaucoup à dire et j’essaie de synthétiser un minimum. En bref, je suis retournée en clinique, attaque un sevrage et je vais recommencer à peindre et dessiner car ma rechute m’a focalisée uniquement sur les consos. Aussi, favorisé par la maladie mentale, consommer de grandes quantités de cocaïne m’a rendue à certains moments agressive et mégalo… et j’en suis arrivée à certains moments à ne plus me supporter alors j’essaye de ressortir la tête de l’eau. C’est pas simple et pour moi ça va commencer par le fait d’essayer de comprendre la situation en acceptant les points de vues de mon entourage et en travaillant dessus. À un détail près, c’est que j’en suis venue à plus de méfiance aussi… je me suis souvent, ces derniers temps, retrouvée au centre du jugement… en extérieur déjà… j’ai les oreilles qui sifflent… mais en clinique la même… Les gens parlent. Quand tu as quelques différences les gens parlent… déformant potentiellement la réalité…
Mais qu’est-ce, la réalité ?

Au final, en me relisant, j’en arrive à me dire que je pourrai éventuellement me reconnaître en Cranck. Je ne sais pas si je vole des rêves… mais peut être qu’il est possible pour moi de dire que je vole des innocences… métaphoriquement des rêves quoi… à commencer par la mienne. Et même, à une période… à la fin de cette année 2021, début 2022, j’ai confronté mon entourage et les personnes que j’ai rencontrées, à une situation très dure, volant en quelque sorte, l’innocence que nous n’avons plus. Car actuellement, la vie est devenue dure… difficile… dure… mais belle. Car heureusement, il reste quelques enclaves de solidarités… des petits endroits où le sourire est toujours présent et sert à réchauffer nos cœurs, qui, en ces années « covidifiées » ont eu froid. Un froid maintenu par des avares et autres énarques politico-bankers sauce scientifique.
Mais pour se réchauffer du froid allumerons-nous un grand feu de leurs vestons queue-de-pie à boutons ?
Dans cette hospitalisation, comme dans une précédente, j’essaye de mettre la création au centre de mes activités. C’est un moyen pour moi d’aborder le sevrage en m’occupant l’esprit. Là j’écris plus ou moins tous les jours, dessine. J’aime bien offrir des dessins aux personnes avec qui je noue des affinités. En clinique, je suis confrontée à quelques discriminations du fait d’être une femme trans dans un milieu psychiatrisé (comme dehors au final, mais là c’est un microcosme… nous sommes peu et les ragots tapent en tête des occupations). Du coup je lie des amitiés fortes aussi. J’ai une grande sœur, concernée par des problèmes de santé similaires aux miens… et on s’entraide toutes les deux mutuellement. Si on est là, c’est aussi que l’on souhaite continuer dans une quête du bonheur… pour ma part il s’agit, d’avoir une meilleure maîtrise de ma santé…
J’ai envie d’aller mieux, reprendre mon quotidien, j’ai envie de continuer à faire plein de choses… reprendre la musique, refaire des compos au sampler, pour mon projet de live painting sur sample électro-punk où l’idée c’est de peindre un mur à l’acrylique au pinceau tout en me retournant de temps en temps (en dansant en même temps… pour sûr) pour balancer mes ptits samples, compos électrozarb… Aussi reprendre les petits ateliers que j’avais montés, où on s’entre-propose des échanges de techniques de créations. En 2021, j’ai proposé un atelier où tournaient environ une dizaine de personnes qui venaient peindre, dessiner, lino-graver, etc., etc., dans mon salon aménagé pour les occaz… plus ou moins tous les mercredi après-midi dans mon ancien appart sur la Cannebière… Pourquoi pas reprendre un de ces quatre ? Pourquoi pas en non-mixité trans/queer ? On a si peu d’espaces… Pourquoi pas… En tout cas j’ai la tête pleine de projets…
J’me bats…
Et j’me battrai.
Joana-Cyrielle
Mon univers décalé puise dans les thématiques liées au cerveau, parfois l’épilepsie, la transidentité et l’univers des monstres. J’y aborde fréquemment le thème de la folie et mes dessins se veulent dans une démarche qui mène à visibiliser le décalage mental.