Carole dans le miroir

(Mad Dam rêve… d’une petite Alice)

Belle de Mai, c’est là que ça commence, que tout a commencé. Là que je suis encore, derrière cette petite table, le cul vissé sur la même petite chaise, à regarder par la même petite lucarne qui s’ouvre sur le bâtiment d’en face. Une paroi d’un gris sale où sillonnent trois lézardes comme trois longues traces. Ouverture sur un monde devenu le miroir de ma propre existence. Des traces, ou des barreaux. À croire que le grand architecte avait prévu son coup. Et celui-là n’avait rien à voir avec Le Corbusier et sa cité radieuse sur le boulevard Michelet. Des lézardes, à l’épreuve du temps. Dois-je y voir un augure ? Cassandre dans le mur, devenue ce miroir aux reflets déformants.

 Dans le grand mur d’en face c’est l’autre que j’entends, l’autre que je perçois, l’autre qui me poursuit, l’autre qui veut ma place. L’autre, cette ennemie, ou bien cette autre moi qui se détache du mur, au milieu des lézardes et d’une flaque d’ombre qui bave des gouttières. Elle est comme ça Carole, elle fait incontinence comme un test de Rorschach, à la moindre occasion, ou dans la moindre tâche. Ma petite sœur jumelle est une flaque sombre, plus fidèle qu’une ombre, plus collante qu’une glu. Mon double maléfique, celle qui vit en dessous, ou alors au-dessus, ou quand bien même dedans. Elle est ma prisonnière, autant que ma geôlière, et je sommes plusieurs dans une même entité depuis que je suis née. Deux âmes dans une même bulle. C’était la destinée. Le médecin s’est trompé lorsqu’il aura écrit qu’une seule a survécu au cours de l’accouchement. Nous sommes nées jumelles. Et nous le sommes restées. Même les livrets de famille peuvent dire des conneries. Et même les parents pourront en rajouter. Je ne suis à leurs yeux qu’une sorte de mal-copie, Carole sera restée la préférée des deux, sans même qu’ils l’aient connue plus de quatre à six heures.

Je ne peux lui en vouloir, c’est son super pouvoir, à ma petite sœur. Même quand on ne la voit pas elle brille comme du feu, alors même que moi, je suis in-transparente, rien qu’une turbulence, une chose un peu bizarre, sans aucun caractère, à part son joli cul. Trop bizarre pour ma mère, trop tentante pour ce père, lui-même franchement tordu. Comme les mauvaises herbes j’ai grandi de travers au gré du vent mauvais qui s’appelle mon enfance. Je m’en suis échappée dès que je l’aurais pu. Comme je l’aurais pu, avec les moyens du bord, à l’aide de mille artifices. Avec ma sœur Carole. C’est elle ma complice, ma force et ma complice, elle qui m’aura poussée à fuir le maléfice d’une parentalité devenue anxiogène, pour ne pas dire toxique, ou carrément malsaine. Etrange paradoxe, l’autre qu’on ne voit pas, l’autre qui vit en moi, celle qui parle dans ma tête et qui n’est qu’une voix, m’aura sauvé la vie en agissant ainsi. Sauvée de mes parents, mais pas de sa folie, ni de son appétit. Elle prend beaucoup de place. Derrière les barreaux qui lézardent le mur, ou derrière mon épaule quand je croise un miroir, derrière mes pensées, ou même dans mes paroles, dans chacun de mes actes, elle est toujours présente la petite Carole. Planquée dans le miroir, comme la petite Alice. Et je ne sais plus très bien, où se cache Lewis, dans l’étrange palindrome qu’est devenue ma vie. Qui derrière la console ? Qui derrière les barreaux ? Qui la petite folle, au jeu du qui est qui ? Qui dans le mur d’en face ? Qui derrière chaque trace ? Qui derrière sa folie, et qui derrière la mienne…

Il n’y a pas de réponse, nulle qui me satisfasse, nulle dans le mur d’en face, nulle dans l’univers blanc d’experts en psychiatrie. Nulle, enfin si, il y en a toujours une… celle qui s’appelle l’oubli.

La trace disparaît. Les traces disparaissent, laissent quelques scories qu’un doigt prend sur son aile et qu’il porte à mon nez. C’est toujours là que ça finit : dans mon nez. Et dans ma bouche aussi. Et parfois dans mon… Pas besoin d’en rajouter. Le plus souvent c’est du fifty-fifty. Un pour cent dans mon nez, quatre-vingt-dix-neuf pour cent- de mon porte-monnaie, cent pour cent dans mon cul. Fifty-fifty quoi, pour parler cru. Mais on ne peut pas dire que je sois vraiment douée pour compter sur mes doigts. C’est sûr, sinon j’en serais p’t’être pas là, dans l’noir, à regarder ce mur, dans ma nuisette dégueu, avec les lèvres en feu, à me demander pourquoi.

Pourquoi le feu ?

Pourquoi mon nez ?

Et la paille dans mon nez ? qu’est dans l’œil du voisin, ou alors dans le mien, mais j’y retourne quand même, toujours la même rengaine, et revoilà l’miroir, parce que c’est le week-end… et que ça me rend folle ! Ou bien alors c’est elle, oui la petite Carole, elle qui me rend folle ! Elle qui tire les ficelles. Elle qui me fait de l’œil, dans l’œil du miroir, alors que mon rimmel, chiale son désespoir. La petite Carole a Lewis dans la peau. Une fille du feu. Une sorcière de sabbat qui n’a rien d’une innocente enfant. Elle sait ce qu’elle veut. Et comment faire pour l’obtenir. En se servant de moi. Rien qu’une entremetteuse devenue l’alchimiste d’une métamorphose quand viendra l’heure du manque. Elle change la chair en or en y mettant le feu, ou bien l’or en argent, et cet argent en poudre, et cette poudre elle-même devient antimatière, lorsqu’à travers une paille, ou le chas d’une aiguille, elle revient à la chair. C’est comme un sortilège qui boucle sur lui-même. De la chair à la chair… un étrange artifice. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout s’assimile par les muqueuses, comme dirait l’ami Zi qui sait de quoi il parle. Et tout serait parfait si je n’avais pas cette horrible impression de m’être fait baiser par la petite Carole. Un deal un peu bancal que je n’aurais pas vu. La paille dans son nez, la poutre dans mon…

Ouais, Carole m’a bien eue. Pas vraiment le genre de commerce équitable labellisé Max Havelaar. Pas vraiment bio non plus, encore que, cent pour cent… organique. Du moins, pour ce qui me concerne. Et ça me ferait presque sourire d’avoir des idées aussi connes à cet instant précis, presque. Je suis brisée en deux, rouillée ou bien en feu, lessivée au sens premier du terme. J’ai beau essayer de me détendre les mâchoires, rien n’y fait, comme si on m’avait mis un pain. Boulangerie équitable. Un pain de chaque côté pour faire bonne mesure.

La journée est finie. Une drôle de journée, singulièrement couverte. Le temps tourne à l’orage, le ciel s’obscurcit, ou c’est peut-être moi. Un regard au miroir. Pas de doute, c’est ça. J’ai la gueule d’un panda qui s’est fait tabasser à coup d’éjac faciale. Rimmel et rouge à lèvres bavent de tous côtés, la chevelure défaite, les cheveux emmêlés, ou les mèches collées par on ne sait trop quoi. Enfin si, on se doute quand même que ce n’est pas du gel. J’ai vraiment une sale gueule. Espèce déprotégée, il n’y a qu’un jour ouvrable, ou maximum deux, mais ceux-là compteront double. Comme une parenthèse, un grand saut dans le vide qui dure vingt-quatre heures, pour un vol simulé dans la haute atmosphère. Une forme de vertige, ou bien de renoncement. Je me rétracte, Carole prend le contrôle, je deviens l’automate, n’éprouve plus vraiment la notion du contact, ni même d’appartenance. Est-ce ma bouche qui s’ouvre ? Est-ce mon gémissement ? Mon sexe qu’on tamponne, mes fesses devenues cette terre de labour sous le soc d’une charrue ? Terra incognita, si la douleur est mienne, je ne la ressens pas, pas tout à fait comme mienne, c’est celle de Carole. Elle ne deviendra mienne qu’à la fin du sabbat. Quand Carole s’en va, ou qu’elle se fond en moi, lorsque le jour s’apaise, que je me retrouve là, dans cette chambre dégueu, devant ce mur dégueu, et ce miroir dégueu. Le miroir, le sachet, ou même une seringue. Et Carole me regarde une dernière fois. Elle sourirait presque.

C’est là que ça commence, que commence la semaine, ou bien là qu’elle finit une nouvelle fois. Là, que le temps s’effondre, sans comment, ni pourquoi. La douleur, et la trace. Le mur, et le miroir. L’ombre d’un vasistas. Ou celle d’une seringue. Moi et ma sœur jumelle qui ne formerons plus qu’une même entité, l’espace d’une fulgurance, d’un flash d’inconscience, comme des sœurs siamoises qui ne livreraient plus qu’un seul et même sourire. Un sourire de Joconde, d’un genre Jérôme Bosch, benoîtement extatique, et franchement torturé, mais l’extase l’emporte quand l’aiguille s’enfonce dans le sillon du bras, et que le sang jaillit dans la petite seringue. Contact. C’est comme une avalanche, le souffle rouge d’une avalanche qui précède l’impact. Et la petite Carole, dans le miroir d’Alice, prend le sourire lunaire d’un chat énigmatique. Perchée. Perchée, vitreuse, ou endormie. Avec les yeux ouverts, souvent. Et la seringue dans le bras, encore. Carole n’est plus là, je n’y suis plus non plus, l’avalanche a tout pris, et quand elle me recrache, je me retrouve seule, allongée sur le sol, à même les tomettes, qui sur mon corps impriment leurs décalcomanies. Sans trop savoir pourquoi, j’éprouve le comment. J’enlève la seringue. L’hématome sur mon bras forme une ombre identique à celle du mur d’en face. Et me voilà marquée comme une bête de foire à l’issue du sabbat, ou d’une traite des blanches devenue négrière au contact de ma peau. Comprenne qui pourra.

C’est dans ces moments-là, et seulement dans ceux-là, que je ne l’entends plus. Carole est retournée là d’où elle est venue, le monde du silence, ou de la petite mort. Comme dans un conte de fées. Elle dort. Il ne reste que moi. Moi, et l’autre qui dort. Carole qui grince des dents, et moi qui ne dort plus. J’ai un peu mal au bras. Mal à beaucoup d’endroits. Mal, sans avoir mal. Mal, sans être là. Je flotte jusqu’au fauteuil, qui jouit d’une pleine lumière, en dessous du vasistas et face à la fenêtre qui s’ouvre sur le mur. Un trône de princesse, et cet horrible augure. Des traces, ou des barreaux. L’ombre humide d’une fuite qui suinte des gouttières, comme d’une artère tranchée. Et le mur d’en face devenu scène de crime si je me laisse aller au jeu des taches d’encre, et des mares de café. Je détourne la tête. La lumière trop vive m’indispose quelque peu, presque autant que ce mur et ce que j’y projette, mais la chaleur douceâtre réchauffe ma carcasse, et ça me fait du bien. Je ferme les yeux. Profite de chaque seconde. Reviens lentement à moi dans la chaleur de juin.

Et voilà comment je m’en retrouve là, derrière un putain de crayon à raconter ma vie pendant que l’autre dort. Ma vie, un putain de miroir et le putain de mur d’en face. Princesse redevenue souillon, redevenue chiffon. Cendrillon quand c’est minuit passé. Passé, depuis douze heures. Princesse GHB, complètement « envapée » à toutes sortes de cocktails, les traces résiduelles d’une longue semaine. La came et les anxios, des restes de Poppers, une pointe de GHB, et de la mauvaise coke, moi-même j’aurais du mal à en tenir la liste, parce que tout se mélange, intemporellement. La semaine dernière, ou bien cette semaine, identique en un sens à la semaine prochaine. Comment les distinguer ? Inconsciente et consciente dans un même mouvement, j’ai comme l’impression d’évoluer dans un rêve. Comme un rêve éveillé. Un rêve récurrent. Absente en quelque sorte, mais pas suffisamment pour ne pas me rendre compte que… que la Belle au bois dormant a quand même sacrément mal au cul sur son trône de princesse !

La défonce n’empêche pas la douleur, n’empêchera pas non plus le prince d’être un gros con, à peine moins brutal qu’une saloperie de clebs. A peine plus humain que le barreau d’une chaise, ou qu’un sceptre de roi en latex. Tout ce que m’autorisera la défonce de fait, c’est d’occulter un peu le relevé des sens. L’occulter, pas l’effacer, la douleur reste là comme une ombre fidèle. Physique, mentale, peu importe, elle sera toujours là. Ce n’est pas tant l’acte en lui-même – pas plus brutal qu’un coup d’un soir dans les chiottes d’une boîte de nuit avec quelques inconnus dont on ne se rappellera rien – que la répétition, le côté mécanique, pompes et pistons, jusqu’à en devenir abrasif, astringent, douloureux. J’ai parfois l’impression que c’est bien ça qu’elle cherche ma petite sœur Carole, la douleur, plus que la défonce elle-même, ou du moins presque autant. Le point de douleur qui conduit vers le paradis blanc serait devenu lui-même, l’avant-garde du plaisir qu’offrira ce dernier. L’un conduira à l’autre presque invariablement. La douleur est bouclée, elle boucle sur elle-même, elle boucle à l’intérieur de moi.

Pourtant, je me préserve, ou Carole me préserve, ou nous nous préservons, les passes que je me tape, j’aurai au moins pour moi de les avoir choisies. Tapin 2.0, les exclus de Tinder m’auront permis cela. Les choses sont bien faites, il y a des sites pour ça qui restent fort discrets. Ça n’enlève rien au côté viandard de cette boucherie-étal, rien aux côtés dégueulasses que viennent chercher certains, car ils payent pour ça. Mais nous restons freelance, ce qui limite le risque propre au tapin de rue. Principalement les macs. Cependant, il y a toujours un risque quelle que soit la technique. Celui d’avoir mal choisi son client, de se faire tabasser, ou de ne pas s’faire payer. Ça fait partie du jeu, mais c’est rarement le cas. Si ce sont bien mes mains qui tapent sur le clavier, c’est Carole qui choisit systématiquement, sans faire grand cas de moi. C’est comme une brûlure, comme une incandescence, comme une cigarette tombée dans un verre d’eau : « Pshiiit ! », c’est lui. Celui-là, me dit sa petite voix sèche comme une guillotine, devant le visage du nouveau candidat qui lui aura tapé dans l’œil.

Carole sait ce qu’elle veut. Elle a le nez pour ça, pour dégotter celui qui n’ira pas plus loin que du sexe un peu gras, du sexe de cinéma, mais surtout qui paiera. Le plus souvent, des vieux, enfin vieux, bien plus qu’elle. Sugar daddy, comme les appelle Carole. Brown Sugar, bien évidemment, car c’est bien grâce à eux qu’elle assure l’intendance à la fin du weekend. Moi, je la laisse faire, ou du moins je me fie à son instinct premier pour cette partie-là. Pour le reste, j’y vais quand je me sens, ou quand j’en ai besoin. Quand j’ai un trou dans l’ventre, et rien pour le combler. Quand le manque se pointe. Quand Carole se réveille. Qu’un reflet du miroir me regarde de côté, parce que l’frigo est vide, le frigo, les sachets, l’frigo et la pensée, y a même plus de Xanax à se foutre sous la dent. Cause, conséquence. Si ce n’est pas le tapin dans les jours qui suivront, ne restera que la faim dévorante de ma sœur. Que les ongles de Carole qui crissent sous ma peau. Je me sens écorchée. Je ne peux pas lutter. Carole prend le contrôle. Elle prend les choses en mains. Ou encore dans sa bouche. Ou bien dans mon vagin, me laisse sur la touche, et book sur le clavier, la liste des invités pour l’orgie du lendemain, ou bien de l’instant même. Et l’alchimie opère. Je ne m’appartiens plus, elle me désincarcère, change le foutre en or, ou bien en billets verts, et les billets de cent deviennent poudre brune, et cette poudre brune deviendra cache-misère, ou bien cash-misère, quand il n’y en aura plus.

Cent fois la même séquence, mille fois recommencée. Et moi je ne sais plus l’espace où j’évolue. Suis-je complètement folle ? Suis-je la petite Carole ? Ou suis-je encore Martha ? Suis-je même l’une des trois ? Ou toutes les trois ensembles ? La folle très certainement, les deux autres je ne sais pas, l’une et l’autre sans doute, alternativement. Comment ça tient encore ? C’est bien la seule question que je me pose encore. Pas tellement le comment, plutôt le jusqu’à quand. Une seule réponse s’impose presque instantanément : tant qu’j’ai un bon p’tit cul, tant qu’j’ai encore mes dents. Tant que je paye le loyer de cette chambre minable ! Après, ça sera la rue, pour Carole, et pour moi. Déclassée au sous-sol sur un matelas pouilleux. Après, je ne sais pas, mais je crois bien qu’au fond rien ne sert d’y penser. Surtout quand je me dis qu’il n’y aura pas d’après. Et si ce n’est pas moi, c’est Carole qui le dit. Qui me le fait sentir, sans me le dire vraiment. C’est un comportement, plus qu’une proclamation. Elle en veut toujours trop. Et je la laisse faire. C’est bien moi, qui pourtant, ramasse les morceaux quand elle va se coucher. Moi-même qui suis morceau d’un puzzle éclaté. Je me ramasse toute seule, mais il manque des pièces. Et les souvenirs souvent font preuve d’intervalles. Des béances dans la maille du tissu mémoriel, identique en un sens à celle de mes entrailles. Une terrible absence, je me sens dévidée, éviscérée, mentalement, physiquement, comme un gant qu’on retourne. Et ce n’est pas la came, ni même la défonce, qui me ferait défaut. C’est…

La petite Carole et ses intermittences,

cette chambre-appartement, comme le mur d’en face

Les barreaux sur le mur, ou ceux de mon enfance,

qui me font un miroir avec d’horribles traces…

La rime facile et presque naturelle, comme dirait l’ami Zi. C’est vrai que j’aime ça. Ecrire. Vomir, sans se brûler la gorge, ni se vider les tripes. Vomir avec des mots. C’est la seule chose qui n’appartienne qu’à moi, c’est peut-être pour ça, ou peut-être, parce que c’est bien le seul moment où je me sente lucide. Sans envie, ni besoin, sinon celui d’écrire. Ça ne durera pas. Le besoin reviendra, Carole me reviendra, et même le tapin me reviendra aussi. Le tapin et l’envie, d’oublier le tapin. Le manque et le besoin, d’espacer le besoin. Et cette nécessité que je ne comprends pas, ou bien de moins en moins : l’envie et le besoin, de vivre cette vie. Une chose qui malgré moi filtre au travers des mots que je le veuille ou pas.

Si Carole m’entendait, elle brûlerait un cierge, ou plus certainement, l’église tout entière avec Martha dedans. La petite Carole mettrait le feu aux poudres, au gré d’une alchimie qui me ferait mal au cul. Ou bien aux maxillaires, et plus sûrement au bras, jusqu’à lever en moi, les germes d’une folie qui ne veut pas ma mort, mais seulement peut-être, me maintenir en vie. Etrange paradoxe. Etrange enchantement. Le tout et son contraire s’expriment pareillement, les deux en quelque sorte touchent les mêmes limites. Ce qui devrait me tuer, me maintiendrait en vie, parce que la vie elle-même ne se soutiendrait pas depuis le commencement. Pas de petite Martha, sans la petite Carole. C’est tout ce que j’en sais. Tout ce que j’en comprends. Tout ce que pointe du doigt l’horrible mur d’en face, ou l’horrible miroir, où je croise mon regard, en même temps que le sien. Carole sourit de toutes ses dents jaunes, ou c’est peut-être moi, quelle différence au fond ? Que je sois Belle de mai, ou bien Moche de juin, nous sommes sœurs jumelles, il n’y aura pas de moi, s’il n’y avait pas d’elle.

D’ailes, quelles qu’elles soient…

Et maintenant, c’est assez, j’en ai marre d’écrire. Car Martha se réveille aux bruits de mon crayon qui griffe le papier. La douleur se réveille, inconstante elle aussi, sujette aux sautes d’humeur. Elle sourirait presque – Carole, pas la douleur – quand je pose mon crayon, pour m’emparer d’une paille qui traîne sur la table.

Entre les traces, ses yeux, se fondent dans les miens. C’en est presque hypnotique. Je m’approche, tellement proche, c’est presque de l’inceste quand nous clignons, toutes deux, des cils en même temps. J’absorbe son parfum. Elle me ressemble tant… et pourtant, quelle lumière dans ses yeux lorsqu’elle m’envisage avec la paille au nez. Du feu. Quelque chose de vivant. La petite Martha ne peut en dire autant. Est-ce vraiment l’important si Carole brille pour deux ? Il est à croire que non. Moi, je ne veux y voir que l’expression vulgaire d’un monde merveilleux. Merveilleux, au sens littéral du terme, surnaturel, sans jugement de valeur. Et qu’importe le terme. Et plus encore peut-être la morale de l’histoire. Ouverture des sinus. Poussée du réacteur, ou lente aspiration. Le miroir s’entrouvre quand la trace s’efface comme la turbulence au cul du réacteur d’Ariane.

Martha ferme les yeux, et l’horizon décolle. Je glisse à pleins poumons dans le miroir d’Alice, ou celui de Carole…

MadDam

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