Cannabis thérapeutique

Expérimentation du cannabis thérapeutique en France

Le cannabis comme outil thérapeutique

Le cannabis est parmi les plus anciennes plantes à avoir été utilisées par l’Humanité pour ses fibres et ses composants à des fins culinaires, médicales, cérémoniales ou récréatives (1). La plus ancienne utilisation médicale de cette plante recensée par des données archéologiques remonte à environ 700 années avant J.C. en Chine. Bien qu’au cours de l’histoire le cannabis fût beaucoup moins utilisé dans la médecine européenne que dans celles pratiquées sur les autres continents, quelques médecins européens du 19e siècle ont redécouvert les bienfaits de cette plante pour traiter divers troubles et symptômes, jusqu’à ce que le cannabis soit prohibé au niveau mondial par des traités et conventions internationales (notamment la Single Convention on Narcotic Drugs de 1961), au même titre que l’opium et la cocaïne, freinant son utilisation dans la médecine et les recherches associées.

Pourtant, depuis une trentaine d’années, avec les avancées de la recherche biomédicale et notamment la découverte d’un système cannabinoïde endogène sur lequel se fixent les molécules actives du cannabis, cette plante regagne une attention particulière en tant que potentiel outil thérapeutique (2). Actuellement, de nombreuses données indiquent que le cannabis et les cannabinoïdes peuvent être bénéfiques pour traiter de nombreux symptômes tels que les douleurs chroniques, les spasticités et tremblements musculaires, les symptômes anxieux et dépressifs, les troubles du sommeil et de l’appétit, les migraines, les épilepsies, les nausées et vomissements dus aux chimiothérapies anticancéreuses et des symptômes du VIH, de la maladie de la Tourette et de la sclérose en plaques (3).

Le cannabis médical dans le monde

Aujourd’hui, de nombreux états dans le monde ont déjà décidé de légaliser le cannabis médical, c’est-à-dire que dans ces pays, la loi fait une distinction entre l’usage thérapeutique et l’usage récréatif du cannabis et autorise des patients à recevoir une prescription de cannabis ou de préparation magistrale à base de cannabis (huile, infusions, pommades, comestibles, etc). Les premiers dans le monde à avoir légalisé le cannabis médical entre les années 1990 et début 2000 sont le Canada, Israël, la Californie et les Pays-Bas. Plus récemment, après 2010, le cannabis médical a également été légalisé dans des états européens : la Croatie, la République tchèque, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Pologne, le Portugal, ou encore le Royaume-Uni. C’est aussi le cas dans des états d’Amérique latine comme le Chili, la Colombie, l’Equateur, le Pérou et l’Uruguay.

Néanmoins, il est à noter que dans certains de ces pays, le cannabis médical n’est toujours pas facilement accessible en raison d’un faible nombre de produits disponibles et variés, d’un coût parfois élevé et rarement remboursé par un système de sécurité sociale, et d’un nombre limité de pathologies pour lesquelles il est indiqué. Enfin, seuls l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, le Canada, Israël, certains états des Etats-Unis, le Chili, la Colombie, le Pérou et l’Uruguay permettent de consommer la plante séchée dans un but médical.

En France, la loi ne distingue toujours pas le cannabis thérapeutique du cannabis récréatif et l’utilisation de cannabis, peu importe les conditions motivant l’usage, est prohibée au même titre que les autres drogues par la loi du 31 décembre 1970 et par l’article L3421 du Code de la santé publique. Jusqu’à récemment, les patients nécessitant du cannabis médical n’avaient droit en théorie qu’à des médicaments dérivés du cannabis très difficiles à se procurer. Le Nabiximols (Sativex®) est un spray buccal à base d’extraits naturels de plantes, autorisé pour les spasticités musculaires dans la sclérose en plaque, mais non commercialisé en France. Le Dronabinol (Marinol®) est un dérivé synthétique, accessible uniquement sur prescription hospitalière dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative, seulement dans des cas exceptionnels de douleurs réfractaires aux traitements ou d’effets secondaires de traitements contre le cancer ou le VIH.

2021 : expérimentation française du cannabis médical

Finalement, fin 2019, l’Assemblée nationale donne son feu vert pour une expérimentation du cannabis à usage médical en France. Après deux ans de travaux menés par l’Agence Nationale de la Santé et du Médicament (ANSM), un décret décrivant les modalités de cette expérimentation est rédigé en octobre 2020 (4) dont en voici une partie :

L’expérimentation débute à partir du 31 mars 2021 et ce pour une durée de 2 ans. Elle concerne 3000 patients qui ont été inclus dans des structures de référence sélectionnées par l’ANSM. Les patients, pour être inclus dans l’expérimentation, doivent correspondre à l’une des indications cliniques retenues et pour laquelle les médications classiques et accessibles ont échoué à soulager les symptômes ou ont dû être arrêtées à cause d’effets indésirables trop importants. Les 5 indications cliniques retenues sont :

  • Des douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies ;
  • Certaines formes d’épilepsie pharmaco-résistantes ;
  • Certains symptômes rebelles en oncologie, liés au cancer ou au traitement anticancéreux ;
  • Des situations palliatives ;
  • Des spasticités douloureuses de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central.

Les patients inclus bénéficieront d’une ordonnance sécurisée d’une durée de 28 jours, renouvelable par leur médecin traitant, et pourront se procurer leur traitement à base de cannabis dans une des pharmacies de ville volontaires pour l’expérimentation. Les traitements mis à disposition dans le cadre de l’expérimentation sont sous forme d’herbe à vaporiser et inhaler ou sous forme d’huile pour la voie orale, et correspondent à différents ratios THC/CBD : « THC dominant », « équilibré en THC et CBD » et « CBD dominant ». Les patients seront suivis pendant 18 mois par des médecins et pharmaciens formés dans une des structures de référence afin de contrôler la bonne prise du traitement, l’évolution des signes cliniques et la présence d’effets secondaires (5).

Limites de l’expérimentation du cannabis médical

Il ne s’agit pas ici de prouver l’efficacité thérapeutique du cannabis qui est déjà reconnue dans la littérature scientifique, mais de vérifier l’acceptabilité du cannabis comme outil thérapeutique par les patients, médecins et pharmaciens et de vérifier la faisabilité de la mise à disposition du cannabis médical en France. En réalité, de nombreux patients, associations d’usagers et experts médicaux réclament déjà depuis longtemps d’avoir accès au cannabis médical. Face à ces demandes et ces besoins, cette expérimentation suscite de nombreuses interrogations.

Il est mis en avant par de nombreuses associations que les critères d’inclusion de cette expérimentation sont assez contraignants. Le fait que les conditions cliniques retenues pour l’expérimentation soient des symptômes « pharmaco-résistants », « réfractaires aux thérapies accessibles », « rebelles », ou pour lesquels les médications classiques sont inefficaces ou mal tolérées, signifie que le cannabis n’est pas prescrit en première intention : les patients, déjà dans des conditions contraignantes, doivent avoir essayé sans succès les traitements déjà disponibles pour pouvoir accéder à ce traitement expérimental.

De plus, il a été jugé insuffisant le nombre de patients inclus dans cette expérimentation au regard du nombre de patients en France qui pourraient en bénéficier. En effet, selon les chiffres de différentes études trouvables sur le site Internet de l’INSERM, il est estimé que 7% à 10% des Français sont atteints de douleurs chroniques neuropathiques dont les 2/3 répondent peu ou pas aux médicaments habituels (6) ; il est estimé que 600 000 personnes souffrent d’épilepsie en France, dont 30% à 40% ne répondent pas aux traitements disponibles (7) ; la sclérose en plaques touche environ 110 000 personnes en France, dont plus de la moitié souffrent de spasticités douloureuses (8). Aussi, selon le rapport 2019 de l’Institut National du Cancer, environ 3.8 millions d’individus en France sont actuellement concernés par le cancer, dont environ 73% souffrent de douleurs liées au cancer lui-même ou aux traitements anticancéreux (9).

Enfin, l’expérimentation n’est accessible qu’à ces 5 conditions cliniques présentées alors que le cannabis médical pourrait être bénéfique pour beaucoup d’autres. Dans d’autres pays ou le cannabis médical est légal et accessible, des patients se font prescrire du cannabis médical pour d’autres conditions telles que les douleurs chroniques non neuropathiques, des rhumatismes, des troubles du sommeil, l’anxiété ou la dépression, des migraines, des nausées ou encore pour des troubles de l’alimentation afin de stimuler l’appétit, etc (10). Mais malgré les demandes d’associations d’usagers et de patients, l’ANSM a refusé d’élargir l’expérimentation à d’autres conditions.

Ainsi, de très nombreux patients sont exclus de cette expérimentation. Pourtant, bien avant cette expérimentation, certains patients utilisaient déjà du cannabis de manière auto-thérapeutique, c’est-à-dire en dehors du cadre médical. Par exemple, dans l’enquête CANNAVID menée par l’association Bus 31/32 et le laboratoire SESSTIM pendant le confinement lié à la COVID auprès des consommateurs quotidiens de cannabis, un peu plus de la moitié des répondants ont déclaré utiliser le cannabis entre autres à des fins thérapeutiques pour traiter des douleurs, de l’anxiété et pour améliorer le sommeil (11). Ces usagers auto-thérapeutes qui n’ont pas accès au traitement expérimental vont continuer à se fournir sur le marché illégal (pour ceux qui ne cultivent pas eux-mêmes) où circulent des produits de qualités variables et non contrôlées : il n’y a aucune garantie concernant la concentration en THC et en CBD de leur produit ou l’absence de produits de coupe. De plus, ils courront toujours le risque d’être punis par la loi, car pour ceux qui ne participent pas à l’expérimentation, la répression est encore forte : en plus des poursuites judiciaires pour le délit « d’usage de stupéfiants », les usagers de cannabis encourent depuis le passage de l’article 58 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 une amende forfaitaire de 200€ pour la détention d’une certaine quantité de produit.

Malgré l’arrivée tant attendue de cette expérimentation, il faudra encore du temps avant que le cannabis comme traitement médical soit reconnu en France et que les patients aient accès facilement à des produits sûrs pour traiter de manière adéquate leurs symptômes comme c’est le cas depuis longtemps dans de nombreux pays.

Martin Bastien, ingénieur de recherche, doctorant au SESSTIM

Références :

(1) Pisanti S, Bifulco M. Medical Cannabis: A plurimillennial history of an evergreen. J Cell Physiol. 2019;234(6):8342‑51.

(2) Di Marzo V, Bifulco M, Petrocellis LD. The endocannabinoid system and its therapeutic exploitation. Nat Rev Drug Discov. sept 2004;3(9):771‑84.

(3) Whiting PF, Wolff RF, Deshpande S, Di Nisio M, Duffy S, Hernandez AV, et al. Cannabinoids for Medical Use: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA. 23 juin 2015;313(24):2456‑73.

(4) Décret n° 2020-1230 du 7 octobre 2020 relatif à l’expérimentation de l’usage médical du cannabis. 2020-1230 oct 7, 2020. Disponible sur: http://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042410284

(5) www.ansm.sante.fr/dossiers-thematiques/cannabis-a-usage-medical

(6) http://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/douleur

(7) http://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/epilepsie

(8) http://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/sclerose-en-plaques-sep

(9) Les cancers en France – L’essentiel des faits et chiffres (édition 2019). Collection Les Données / Epidémiologie. Institut National du Cancer (INCa).

(10) Reinarman C, Nunberg H, Lanthier F, Heddleston T. Who Are Medical Marijuana Patients? Population Characteristics from Nine California Assessment Clinics. J Psychoactive Drugs. 1 avr 2011;43(2):128‑35.

(11) Briand-Madrid L, Donadille C, Martin V, Appel L, Gadelius MLB, Mezaache S, et al. Enquête CANNAVID : Modifications de la consommation de cannabis chez les usagers quotidiens en période de pandémie de Covid-19. Psychotropes. 8 déc 2020;Vol. 26(2):141‑63.

%d blogueurs aiment cette page :