Cannabis et automédication

Résultats d’une enquête collaborative

De nombreux pays en Europe et dans le monde ont déjà autorisé le cannabis à usage médical : par exemple, depuis 2001 au Canada, il est possible pour certains patients de consommer légalement du cannabis grâce à une ordonnance de leur médecin. En France, bien qu’une expérimentation de l’utilisation du cannabis médical soit en cours depuis mars 2021, de nombreux usagers utilisent déjà le cannabis à des fins thérapeutiques, en complément ou en alternative aux médicaments et autres traitements conventionnels. Cela fait même bien longtemps que des médecins voient certains de leurs patients s’automédiquer1 pour une multitude de symptômes et que des associations d’usagers de cannabis revendiquent le droit et la reconnaissance de cet usage thérapeutique.

L’objectif de la collaboration entre l’association Plus Belle La Nuit2 et l’équipe de recherche du SESSTIM3 était d’apporter des données sur les profils et les pratiques des usagers de cannabis qui consomment à but thérapeutique en France. L’enjeu de ces analyses est d’apporter un support plus scientifique à un phénomène déjà connu mais jusque-là peu documenté. Nous avons utilisé les données de l’enquête anonyme en ligne CANNAVID, qui a été menée pendant le premier confinement lié au COVID-19 en France (et dont les résultats ont été publiés dans la revue SaNg d’EnCRe n°6). Cette étude servait à l’origine à étudier l’impact de ce confinement sur les consommations et sur la santé des usagers de cannabis mais des questions sur l’automédication présentes dans le questionnaire ont pu être exploitées afin de faire une analyse spécifique sur ce sujet.

Sur les 4150 participants inclus dans l’analyse, 453 (11%) estimaient que leur usage de cannabis était uniquement à but thérapeutique ; 1646 (40%) se situaient dans un usage mixte (c’est-à-dire récréatif ET thérapeutique) ; 1221 (29%) n’en avait pas du tout un usage thérapeutique ; et 830 (20%) ne savaient pas réellement comment caractériser leur usage, ou du moins ne se reconnaissaient pas dans l’emploi du mot « automédication ». Parmi les multiples effets thérapeutiques recherchés, « soulager des douleurs » était presque systématiquement rapporté (90% des usagers uniquement thérapeutiques). Beaucoup rapportaient également chercher à traiter des symptômes anxieux ou dépressifs et améliorer leur bien-être psychologique (82%), ou encore améliorer la qualité de leur sommeil (75%) ou de l’appétit (30%), réduire l’usage d’autres substances psychoactives (alcool, substances illégales ou médicaments prescrits) (21%) ou encore améliorer leur concentration (20%).

Nous avons également analysé les caractéristiques des personnes utilisant le cannabis à but thérapeutique : elles sont en moyenne plus âgées que les personnes qui déclarent un usage purement récréatif, elles vivent plus souvent dans des villes moyennes ou en zone rurale, elles se déclarent plus souvent au chômage ou en invalidité et ont plus de maladies chroniques (physiques comme mentales). Egalement, elles ont tendance à mettre moins de tabac dans leurs joints ou à plus vaporiser le cannabis, aussi à cultiver elles-mêmes leur cannabis et elles en consomment en moyenne plus fréquemment au cours de la journée. Il y a également moins de consommations d’alcool chez ces usagers en automédication.

Ainsi, il parait difficile d’établir une frontière nette entre les usages dit « récréatifs » et « thérapeutiques » puisque la majorité des personnes interrogées ne pouvaient pas se définir dans l’un ou dans l’autre. Dans les faits, le cannabis thérapeutique n’est pas uniquement utilisé dans le but de soulager des symptômes induits par une pathologie, mais est aussi utilisé pour améliorer le bien-être global ainsi que des aspects du quotidien. Comme le montrent les profils et les pratiques de consommation des usagers en automédication, ces derniers se situent dans une réelle démarche personnelle de gestion de leur santé, malgré les risques légaux encourus. Il serait alors intéressant pour adapter la prise en charge des patients de tenir compte de leur expérience avec le cannabis, particulièrement si les pouvoir publics décident d’en légaliser l’accès.

Martin Bastien, doctorant au SESSTIM

1 On parle « d’automédication » lorsque l’usage thérapeutique est fait hors recommandation médicale.

2 Plus Belle la Nuit est une association communautaire de réduction des risques (RdR) qui intervient dans le champ des drogues et de la santé sexuelle à Marseille et dans les Bouches-Du-Rhône (13).

3 SESSTIM (Science Economique et Sociale de la Santé et Traitement de l’Information Médicale) est une unité mixte de recherche en Santé Publique qui dépend de l’Université Aix-Marseille et de l’INSERM.

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