Depuis 2012, l’association Nouvelle Aube se déplace auprès des prisonniers du centre pénitentiaire (CP) des Baumettes. Elle bénéficie en effet d’une autorisation permanente d’entrée en détention de par sa collaboration avec l’UCSA (Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires). Diverses interventions en découlent, parmi lesquelles des ateliers portés par Nouvelle Aube et soutenus par Sidaction.
Retour sur une action qui témoigne du potentiel offert par le travail en réseau, ainsi que sur les rendus éloquents de l’atelier mené à la Maison d’Arrêt pour Femmes (MAF) en mai 2019.

Une action « dedans-dehors »
Outre les soins prodigués au sein du CP, l’UCSA qui dépend de l’AP-HM (Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille) instaure et développe des espaces d’échanges dedans-dehors afin d’améliorer le parcours entrant-résident-sortant, dont la préparation à la sortie, par un travail avec le JAP (Juge d’Application des Peines) et le SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation). Une mission qui s’accorde parfaitement avec celle de l’auto-support Nouvelle Aube, dans la perspective de la promotion de la santé et de la Réduction des Risques et des Dommages (RdRD).
Djamila Sirat, éducatrice de l’UCSA, et Joachim Levy, directeur de Nouvelle Aube, mènent ainsi des interventions très variées dans et hors les murs du CP : accompagnements de détenus en rendez-vous extérieurs (parcours de soins mais aussi ouverture ou maintien des droits en matière d’état civil, santé, logement…) ; entrée en détention de matériel destiné à améliorer les conditions de vie des prisonniers par des achats / relais / collectes / dons (hygiène, alimentaire et logistique nutrition : plaques chauffantes… ; ou logistique humaine : vêtements, chaussures, sac-à-dos…) ; distribution de matériel RdRD, quoique très difficilement en raison de restrictions drastiques (quelques préservatifs et très peu de « roule-ta-paille »), en quantité nettement insuffisante, en somme, au regard des besoins effectifs ; ou encore TRODs (Tests Rapides d’Orientation Diagnostique) pour les résidents volontaires, à l’instar de la dernière semaine de novembre 2019 dédiée au dépistage VIH-VHC1. Sur ce dernier point, comment ne pas dénoncer les lacunes du dedans quand le dépistage n’est proposé qu’à l’entrée en détention ?
Par ailleurs, pour « aller vers » les détenus, comprendre leurs problématiques et élaborer avec eux leur parcours de santé comme leur projet de vie, l’UCSA et Nouvelle Aube proposent des entretiens individuels via des permanences au CP (une quarantaine par an) ainsi que des ateliers collectifs hebdomadaires.
Des ateliers hebdomadaires en détention
Les ateliers au CP des Baumettes ont d’abord pour vocation de rompre l’isolement et créer du lien entre les détenus. Ils permettent la verbalisation et le partage d’expérience, de vécu, dans un monde carcéral qui incite à se surprotéger avant tout. Question de survie.

Par l’activité collective et le medium culturel, l’idée est de libérer l’expression, la parole, les échanges afin d’apporter une autre dimension au vécu, lui ouvrir d’autres perspectives, au-delà des conditions de survie. Les thèmes abordés varient de l’expression libre à des sujets plus aboutis : projets personnels, parcours de santé, santé sexuelle, parentalité, RdRD avec une attention particulière sur les pratiques, les modes de contamination… Quant aux mediums proposés, leur intérêt réside dans l’accessibilité à tous et le potentiel qualitatif du rendu. Les ateliers offrent alors l’espace-temps d’un travail sur l’estime de soi par la valorisation de l’individu et de ses compétences psychosociales (expression, réflexion en groupe, communication, empathie, gestion des émotions…).
De plus, ces séances sont toujours l’occasion d’une collation (dimension nutrition), parfois aussi de dons ciblés (hygiène / nutrition / logistique humaine), ou encore de distribution de matériel RdRD.
Autant de leviers d’action contre les processus d’isolement, le mal-être, la dépression, voire les passages à l’acte suicidaire, environ 7 fois plus élevés qu’en dehors selon une enquête Mediapart2 menée avec l’aide de l’Observatoire International des Prisons (OIP). Autant de moyens, donc, de préserver et renforcer les aptitudes à la réinsertion sociale.
Ateliers : du nouveau pour les femmes des Baumettes
De manière générale, le statut des femmes incarcérées recèle nombre de particularités au sein de la population-clé des prisonniers. La détention représente en effet un marqueur social qui apparaît beaucoup plus sévère chez la population féminine, plus facilement isolée et stigmatisée. De leurs besoins hygiéniques spécifiques, trop souvent négligés en milieu carcéral, à leur maternité potentielle2 en passant par les violences subies, les femmes connaissent résolument plus de difficultés à faire respecter leurs droits fondamentaux. A cela deux raisons corrélées : l’enclavement des secteurs qui leur sont dédiés de par les règles de « non-mixité » qui font de la prison une « exception » au regard des principes de la République ; leur sous-représentation au sein des établissements pénitentiaires.
Autre cas particulier chez les détenues des Baumettes : si les maisons d’arrêt sont traditionnellement réservées aux courtes peines, ce n’est pas le cas de la MAF ici puisque la centaine de parcours de femmes y relève pour un certain nombre de peines longues, faute de structures adaptées, ajoutant encore aux difficultés des résidentes.
Ainsi les actions en milieu pénitentiaire ont tout lieu de prêter une attention particulière à cette minorité féminine. Or, avec la rénovation et le déménagement interne des Baumettes, la MAF est désormais directement accessible depuis le bâtiment B2 où se situe l’UCSA, moins enclavée pour ainsi dire. Ce qui a notamment permis aux ateliers de se déployer en 2019 en faveur des femmes des Baumettes, à l’instar de l’atelier « collage » de mai 2019 auprès d’un groupe femmes de 35 à 55 ans.
Malgré l’envie de participer et l’accessibilité du medium, le groupe s’est d’abord montré timide, réservé, comme souvent ; rien de tel alors qu’un cadavre-exquis pour libérer l’expression, lancer la dynamique de groupe, les rires et la bonne humeur. On vous laisse apprécier, dans ce dossier, la qualité des créations qui en sont ressorties…
… Merci à Juana, Martha, Dolores et Mila pour ce moment de partage !

Dedans-Dehors, revue spécialisée de l’OIP
Comment parler d’action « dedans-dehors » sans évoquer la revue du même nom ?
Publiée par la section française de l’Observatoire International des Prisons, Dedans-Dehors permet de diffuser le travail rigoureux de cette association en termes d’éclairage et d’analyse des politiques pénales et pénitentiaires au cœur de nos problématiques sociétales.
Par des retours d’expérience de détenus ou d’acteurs de terrain, la revue dénonce les mauvaises pratiques bien ancrées qui contreviennent clairement aux valeurs érigées par la République du pays des droits de l’homme. « Avec 17 condamnations, la France fait partie des pays les plus souvent épinglés par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses conditions de détention inhumaines. »4.
Dedans-Dehors ouvre en outre un espace d’échanges de pratiques et de réflexion collective, d’émulation autour de projets exemplaires tant sur les interventions directes en détention (CAARUD/CSAPA, projets associatifs…) que sur le lien dedans-dehors.
En donnant la parole aux prisonniers, à l’instar du numéro 100 dédié à l’expression directe de ces derniers, cette publication trimestrielle tend enfin à « repousser les murs », comme les limites d’action en lien avec la question de la privation de liberté. Véritable appel à la prise de conscience quant à la confusion générale sur le sujet, ses perspectives laissent entrevoir la possibilité d’une issue, d’une autre conception de la détention afin de sortir de ce cercle vicieux qui alimente et accroît la désinsertion sociale, la rupture de soins, les inégalités socio-sanitaires… entretient la mise au ban.
Aujourd’hui l’OIP est menacé par une perte de 66 % de ses subventions publiques en 5 ans. Interlocuteur privilégié des détenus et de leurs proches de par son expertise, acteur incontournable du respect de leurs droits et de leur dignité comme du débat démocratique sur la privation de liberté, « l’OIP n’a jamais été aussi peu soutenu par l’Etat »5 alors même que le nombre d’incarcérations ne cesse de croître jusqu’à atteindre cette dernière année des records inégalés selon les chiffres 2019 de l’administration pénitentiaire.
Appel au soutien et à une mobilisation massive pour sauver l’OIP !
Plus d’infos sur https://oip.org/
Sophie Desrousseaux, d’après un entretien réalisé auprès de Joachim Levy (association Nouvelle Aube), autour de l’atelier de mai 2019 à la MAF des Baumettes, Marseille.
1. VIH : Virus de l’Immunodéficience Humaine responsable du Sida. VHC : Virus de l’Hépatite C.
2. Cf. « Suicides en prison : l’hécatombe et le silence », 2017.
3. Il existe une pouponnière aux Baumettes pour les quelques accouchements réguliers au sein du CP
4. Dedans Dehors n° 100, juin 2018 (dernière de couv)
5. https://oip.org/communique/loip-en-danger